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Banlieues (3) : hypothèses sur les différentes formes de lutte armée
--> par Y.C
Dans leur soutien enthousiaste, et parfois aveugle, à la violence « révolutionnaire », Quadrelli et ses interlocuteurs guérilleristes mélangent, de la façon la plus confuse, différents phénomènes sociaux et politiques. Ils sont révoltés par l’exploitation capitaliste, mais aussi par le racisme, le sexisme et toutes les formes de domination, et cette révolte est bien sûr quelque chose que nous partageons. Mais les « guérilleras » semblent aussi fascinées par la violence d’une façon très élémentaire. Comme si le plus important était de montrer qu’on a des « couilles » et de pratiquer le culte de tous les gens courageux qui ont eu des « couilles » face à leurs oppresseurs. Cette fascination abstraite pour la violence va de pair avec deux erreurs létales :

- la croyance aveugle dans la pseudo rhétorique socialiste de nombreux courants tiers-mondistes et nationalistes (de Lumumba aux guérilleros vietnamiens et algériens),

 

- et l’idée naïve implicite que, lorsque les opprimés prennent les armes, ils luttent automatiquement pour une cause juste.

 

Si l’on observe les combats fratricides entre le Hamas et l’OLP, ou en Irak entre les différentes fractions qui veulent chasser les forces d’occupation américaines, on comprend que la violence armée, en elle-même, n’a rien de révolutionnaire, ni même de progressiste. Elle doit être liée à un programme socialiste détaillé, à des formes d’organisation démocratique des ouvriers, des paysans et des opprimés. Si l’on considère la violence comme une question purement militaire, alors on ne fait que reproduire les formes traditionnelles de la politique bourgeoise. Et cela s’est vérifié dans l’expérience de nombreux mouvements de guérilla.

 

Des modèles différents

 

La guerre de guérilla peut correspondre, hier comme aujourd’hui, à des situations très différentes :

 

- une guerre civile entre des classes séparées par des intérêts sociaux opposés, et mobilisant des millions d’exploités,

 

- l’autodéfense armée d’une minorité « ethnique » dans un Etat impérialiste, et qui défend une politique radicale-démocratique,

 

- des actions armées menées par des militants participant à des mouvements sociaux plus larges, militants ayant un programme « socialiste » ou libertaire confus,

 

- le terrorisme urbain de groupes qui avaient une approche acritique vis-à-vis du stalinisme, concluaient des alliances avec le Bloc de l’Est et dont les principales cibles étaient liées à une lutte contre l’ « impérialisme américain » totalement déconnectée des luttes ouvrières,

 

- des groupes occidentaux qui se sont transformés en mercenaires des mouvements de libération palestiniens avec l’aide de certains Etats du Moyen-Orient,

 

- des mouvements de libération de minorités nationales au sein des métropoles impérialistes européennes, mouvements qui promeuvent l’unité nationale de toutes les classes, y compris leur bourgeoisie patriotique,

 

- des luttes de libération nationale dans le vieux monde colonial où le capitalisme local était très faible, où aucune révolution bourgeoise ne s’était produite, luttes qui ont abouti à la constitution de régimes capitalistes d’Etat,

 

- des groupes qui ont essayé, après le succès de la révolution cubaine, d’appliquer son modèle (en combinant guérilla urbaine et guérilla rurale) et/ou de lutter contre les dictatures militaires d’Amérique du Sud (ainsi que contre l’influence de l’impérialisme américain), etc.

 

Et il existe probablement beaucoup d’autres modèles (purs ou combinant les traits de plusieurs d’entre eux) de luttes armées ayant des objectifs politiques et sociaux très différents. C’est pourquoi il est impossible de faire l’apologie de la violence armée de façon abstraite. Il faut étudier le programme politique particulier de chaque groupe, son organisation interne, ses relations avec les masses et particulièrement avec la classe ouvrière (quand elle existe de façon significative !), pour décider si un groupe de guérilla a le moindre intérêt pour la révolution socialiste, ou s’il ne s’agit que d’une fraction en gestation de la future classe capitaliste dominante locale. Et ce n’est pas parce que la violence armée est décentralisée, comme semblent le penser les guérilleras, qu’elle ne fera pas le jeu de l’ennemi de classe.

 

Les conditions du succès

 

La lutte de guérilla a généralement réussi dans des pays majoritairement ruraux, occupés par des forces étrangères, où les tâches de la révolution bourgeoise (liquidation du féodalisme, réforme agraire minimale, instauration d’une forme quelconque de démocratie parlementaire, unité nationale, etc.) n’avaient pas encore été accomplies par la faible bourgeoisie nationale rentière, incapable de promouvoir un développement capitaliste autonome et de combattre la mainmise des puissances impérialistes occidentales.

 

La guerre de guérilla fut généralement menée par des organisations extrêmement centralisées comme les partis staliniens traditionnels (chinois, vietnamien, cambodgien, yougoslave) ou par des mouvements de guérilla nationaliste (FLN algérien, Mouvement du 26 Juillet à Cuba, Talibans) qui ont copié le modèle stalinien et ont parfois utilisé le pouvoir mobilisateur de la religion (Algérie, Afghanistan).

 

Dès le départ, même si certains d’entre eux avaient une rhétorique socialiste, il était clair que tous ces mouvements voulaient construire la direction et l’appareil du futur Etat bourgeois national centralisé. Ces guérillas combinaient des actions dans les campagnes (constituant ainsi des armes traditionnelles hiérarchisées) avec la guérilla urbaine, généralement dans la phase finale précédant la prise du pouvoir. Ils étaient fréquemment soutenus (avec des hauts et des bas dans leurs relations) par l’impérialisme russe (à l’exception des talibans), dans sa compétition mondiale avec l’impérialisme américain, et ce soutien incluait des fonds, des armes, des stages d’entraînement, etc. La disparition de l’Union soviétique et de sa mainmise sur ses colonies d’Europe de l’Est a tellement affaibli la Russie qu’elle ne peut plus prétendre jouer le même rôle à l’échelle internationale.

 

Ajoutons qu’au moins dans trois cas (Algérie, Vietnam et Afghanistan) la victoire des mouvements de libération a été beaucoup plus une victoire politique qu’une victoire militaire. En d’autres termes, c’est parce que les armées impérialistes américaine, russe et française ne voulaient pas perdre davantage de soldats, et parce qu’aucune ressource stratégique n’était en jeu (du moins à l’époque) qu’elles acceptèrent de se retirer des pays qu’elles occupaient. Elles avaient beaucoup plus peur des conséquences intérieures immédiates de leurs actions que d’une prétendue supériorité militaire des mouvements de libération nationale. La France et les Etats-Unis avaient les moyens d’écraser leurs adversaires (y compris l’arme nucléaire) s’ils l’avaient voulu. En ce qui concerne le Cambodge, sans l’aide des armées vietnamiennes et du gouvernement chinois, les Khmers rouges seraient probablement restés un groupuscule errant dans la jungle. Quant à l’Afghanistan, il est évident que les troupes de l’impérialisme russe disposaient de la supériorité militaire et technique. Cela ne leur a pas permis pour autant de vaincre.

 

Amérique latine : de la guérilla urbaine au réformisme démocratique

 

Sur ce continent, Cuba et le Nicaragua sont les deux seuls exemples de victoire d’une guérilla, mais il faut souligner que, dans les deux cas, les guérilleros avaient affaire à des régimes sur le point de s’effondrer, tant ils étaient pourris de l’intérieur. Dans ces deux cas, la guérilla ne combattit pas pour libérer le territoire national d’une occupation étrangère, mais pour renverser et achever une vieille dictature fortement affaiblie. Le Mouvement du 26 juillet qui fusionna, après la prise du pouvoir, avec le parti stalinien cubain (le PSP), installa la féroce dictature d’un parti unique sur la classe ouvrière. Quant aux sandinistes, après avoir été adulés par toute l’extrême gauche occidentale, ils finirent comme un parti corrompu qui dut abandonner le pouvoir sans changer fondamentalement la société.

 

Dans le reste de l’Amérique latine, toutes les autres expériences de lutte armée ont tragiquement échoué (1). Le Sentier lumineux péruvien se transforma en un secte mafieuse terrorisant les opprimés. Les petits mouvements latino-américains qui avaient utilisé la guérilla urbaine (Brésil, Uruguay, Argentine, Chili) ont été sauvagement écrasés par les dictatures locales et n’ont pas eu le temps d’acquérir une base de masse : le MIR chilien regroupait 300 militants armés, l’ERP argentine 500 et l’ELN bolivienne (la guérilla du Che qui, elle, mena la lutte dans les campagnes) : 47 !

 

Les guérillas qui possèdent encore un certain pouvoir militaire et contrôlent certaines parties du territoire - les FARC et l’ELN en Colombie - se sont transformées en rackets mafieux sans aucun avenir politique, si tant est qu’elles en aient jamais eu un. Demain, la seule solution de survie pour ces gens-là serait d’intégrer les forces de répression de l’Etat bourgeois, comme cela s’est passé dans certains pays d’Afrique pour mettre fin à la guérilla.

 

En général, en Amérique latine, les petits groupes de guérilla et les quelques individus qui ont réussi à survivre à la répression des années 1960 et 1970 ont profité des nouvelles opportunités offertes par la démocratie bourgeoise quand la plupart des dictatures ont disparu. C’est sans doute pourquoi de nombreux ex-guérilleros (1) se retrouvent dans des partis verts ou sociaux-démocrates, voire dans des ONG qui luttent pour les droits de l’homme. Ils n’ont pas été obligés de dresser un bilan de leur échec à provoquer une révolution socialiste fondée sur la guérilla urbaine ou rurale, parce qu’ils ont gagné une certaine légitimité nationale, en tant que combattants courageux contre des régimes corrompus et dictatoriaux, en tant que combattants « anti-impérialistes » et que précurseurs des régimes « démocratiques » actuels. C’est le cas dans des pays comme l’Uruguay, le Chili, le Venezuela, et même la Colombie, du moins pour ceux qui ont abandonné la guérilla et se sont reconvertis dans l’action politique légale.

 

La lutte armée en Occident : un échec total

 

En Occident, on a assisté grosso modo à deux types de luttes armées, menées soit par des groupes ayant un programme nationaliste, soit par des groupes ayant un programme socialiste confus. Tous ont fait faillite.

 

La lutte de l’IRA en Irlande du Nord s’est terminée par un échec retentissant, même si elle avait l’avantage d’affronter une armée étrangère, celle des Britanniques. L’IRA, de mouvement républicain petit bourgeois, s’est transformé en un parti bourgeois réactionnaire. Le combat militaire de l’ETA au sein du Pays basque a connu son heure de gloire durant la dictature de Franco, mais après l’instauration de la démocratie bourgeoise en Espagne, l’ETA a connu de nombreuses scissions et n’a remporté aucune victoire significative ; défendant un programme réactionnaire (2), elle a récemment assassiné plusieurs journalistes, intellectuels et ex-militants qui ne partageaient plus ses conceptions : quant aux mouvements nationalistes corses, certains d’entre eux ont un discours raciste et hostile à l’immigration, et aucun d’entre eux n’a le moindre avenir étant donné la structure économique de l’île.

 

Traditionnellement, les groupes nationalistes pratiquent le racket (ce qu’ils appellent « l’impôt révolutionnaire ») des industriels, commerçants et même des travailleurs, mais cela ne les empêche pas d’attaquer aussi des banques pour obtenir des fonds. En agissant ainsi, ils se comportent déjà comme l’embryon du futur Etat collecteur d’impôts. Ils ne soutiennent jamais les grèves et les luttes ouvrières, étant donné leur ambition de conclure une alliance entre toutes les classes pour construire une nouvelle nation.

 

Les mouvements de lutte armée qui avaient un programme se référant plus ou moins clairement au socialisme et qui considéraient que la situation était pré-révolutionnaire dans les années 60 ou 70 (les Weathermen, la Fraction Armée rouge, Action directe, les Brigades rouges, etc.) ne combattaient pas directement une force d’occupation impérialiste, même s’ils ciblaient souvent des bases militaires ou des bâtiments de l’OTAN, du moins en Europe. Ils étaient censés lutter contre leur propre bourgeoisie et pour le socialisme. La répression qui s’abattit sur eux était telle que, par exemple dans le cas de la Fraction Armée rouge (la RAF), l’organisation dépensa toute son énergie durant les deux décennies suivantes à essayer de libérer ceux qui avaient été arrêtés au tout début de leurs actions. Le cas de la RAF offre un terrible exemple de la logique et de l’impasse d’une lutte dissymétrique entre un groupuscule de lutte armée et un Etat bourgeois aux moyens sophistiqués. Du point de vue idéologique, ces groupes étaient déchirés entre le désastreux modèle stalinien de « socialisme » (autrement dit de capitalisme d’Etat) et l’ambiance spontanéiste confuse des années 60 et 70, et ils n’apportèrent rien de neuf à la compréhension révolutionnaire du capitalisme moderne.

 

D’autres groupes, comme Prima Linea en Italie, refusèrent d’adopter une structure entièrement clandestine et de se couper entièrement de la société et de la classe ouvrière ; ils prétendaient être au service des mouvements sociaux (en « première ligne » et prêts à effectuer une retraite stratégique si nécessaire) et ils jouèrent avec le feu jusqu’à ce que près de 1 000 militants se retrouvent en prison puis décident, plus tard, de collectivement renoncer à la lutte armée.

 

On peut aussi citer le MIL espagnol, qui bien que très critique vis-à-vis des idées léninistes traditionnelles, utilisait l’ « agitation armée » comme un moyen « de montrer au mouvement ouvrier que le niveau de violence que l’on peut exercer contre l’Etat bourgeois est plus important que celui que perçoivent subjectivement les travailleurs » (Sergi Rosés Cordovilla, El MIL : una historia politica, Alikornio, 2002). Tout un programme....

 

Dans l’Occident impérialiste, aucun de ces mouvements ne réussit à « libérer « la moindre partie du territoire, à créer des « zones libérées » ou même de petits focos (3), parce qu’ils agissaient dans des pays majoritairement urbains où il était impossible de se cacher dans des montagnes éloignées ou des forêts isolées. En dehors de l’exception notable de l’Italie (où 30 000 personnes furent condamnées pour avoir commis ou facilité des « actes terroristes »), les groupes « terroristes de gauche » européens n’ont jamais dépassé les 100 ou 200 membres et n’ont jamais bénéficié d’un soutien de masse. Ils ont construit de petites structures clandestines qui avaient de graves problèmes logistiques : où trouver l’argent pour mener une vie clandestine, acheter des armes, s’entraîner pour acquérir une expérience militaire, etc. Et les problèmes de survie matérielle eurent une influence décisive sur la pauvreté de leur ligne politique.

 

Comme ils n’étaient pas liés à un parti de masse (à l’exception de l’ETA et de l’IRA qui avaient des liens avec un front légal défendant une ligne démocratique-bourgeoise radicale) ils étaient coincés : soit ils devaient attaquer des banques et/ou enlever des gens très riches (et l’organisation risquait de rapidement se transformer en un groupe criminel apolitique ou en tout cas entièrement dominé par sa direction militaire) ; soit ils devaient accepter d’entretenir des liens financiers et politiques étroits avec l’impérialisme russe jusqu’à la fin des années 80, avec les « Etats voyous » ou avec les groupes djihadistes-terroristes depuis lors, mais dont l’aide n’atteindra sans doute jamais le montant et l’expansion de celle fournie par l’impérialisme russe. Certains coopérèrent avec les services secrets du bloc capitaliste d’Etat, d’autres travaillèrent comme mercenaires pour des Etats du Moyen-Orient. La coopération avec les Etats libyen, yéménite ou syrien était d’une certaine façon « normale » : si vous cherchez un Etat où vous entraîner à la guérilla et où vous pouvez acheter librement des armes sophistiquées, vous finirez par coopérer avec des régimes dictatoriaux sanguinaires et, au pire, à travailler comme mercenaires pour des services secrets étrangers.

 

Le fait que les personnes interviewées par Quadrelli comparent leur propre situation à celle des « Etats voyous » illustre les limites de leur compréhension politique (« Au sein de la métropole, nous sommes l’équivalent des Etats voyous », déclare sans complexes J.B. !) Le gouvernement syrien bombarda et tua au moins 10 000 civils dans la ville de Hama en 1982 pour écraser les Frères musulmans. Saddam Hussein utilisa du gaz toxique pour tuer 5 000 civils kurdes en 1988, et il tua probablement encore 100 000 Kurdes lors de différents massacres ; son régime massacra 200 000 chiites du sud de l’Irak et encore 100 000 Arabes des Marais au début des années 90. Si les « guérilleras » interviewées par Quadrelli connaissent ces événements (et il est difficile d’imaginer qu’elles les ignorent, étant donné leur discours tiers-mondiste), cela signifie-t-il qu’elles sont suffisamment cyniques pour accepter l’argent et la protection de ce genre d’Etats, comme ce fut le cas de la RAF allemande dont les membres furent aidés par la Stasi en Allemagne de l’Est, ou comme le firent d’autres groupes de lutte armée d’extrême gauche qui allaient s’entraîner dans les mêmes camps libanais ou syriens que des groupes fascistes ou nazis européens ?

 

Un bilan nécessaire

 

Tous les groupes qui ont essayé la tactique de la guérilla urbaine dans les Etats impérialistes occidentaux, durant les années 60 et 70, ont échoué. Non seulement parce qu’ils ont sous-estimé les capacités militaires et politiques de l’ennemi de classe, mais parce qu’ils pensaient que la répression de l’appareil d’Etat pousserait magiquement les masses à se révolter. En Italie et en France, parmi ceux qui ont écrit des témoignages sur les activités guérilleristes, très peu, à ma connaissance, se sont livrés à un bilan critique détaillé de ce qui n’avait pas marché il y a trente ans. Certains livres peuvent être utiles pour avoir une petite idée de la lutte armée : Renato Curcio (A visage découvert), Anna Laura Braghetti (Le Prisonnier, 55 jours avec Aldo Moro), Valerio Morucci (La pegio gioventu), Vincenzo Guagliardo (Di sconfita in sconfita) et Alberto Franceschini (Les Brigades Rouges. L’histoire secrète des BR racontée par leur fondateur), tous les cinq membres des Brigades rouges à différents moments et à divers niveaux de responsabilités ; Hans Joachim Klein qui coopéra avec Carlos (Les années Carlos : Hans Joachim Klein, un cas allemand) ; et Sergio Segio (Miccia Corta) de Prima Linea. Il existe aussi un documentaire très intéressant Do you remember revolution de Loredana Bianconi, où la réalisatrice interviewe des femmes qui décrivent leur engagement au sein des groupes terroristes d’extrême gauche ; l’intérêt de ce film est que ces militantes réfléchissent sur les raisons et la façon dont elles ont pris la décision de tuer des « ennemis de classe » que le plus souvent elles ne connaissaient pas et pour lesquels elles n’avaient aucune haine personnelle.

 

Le problème avec ces témoignages d’anciens guérilleros est qu’ils continuent souvent à défendre leurs vieilles analyses et affirment qu’ils avaient raison sur l’essentiel ; ou alors ils estiment qu’ils étaient obligés de prendre les armes pour empêcher les fascistes de prendre le pouvoir ou de gagner plus d’influence au sein de la société, explication qui les ramène vers le vieil antifascisme bourgeois de la Résistance stalinienne ; ou bien ils considèrent qu’il est impossible, pour le moment, de dresser un bilan, parce que cela mettrait en danger des gens qui n’ont jamais été arrêtés ; ou encore ils pensent qu’ils ont été manipulés par telle puissance étrangère ou tel service secret ; ou ils jugent avoir été le jouet de dirigeants, sans scrupules, stupides et paranoïaques ; ou ils croient que leur révolte aveugle de jeunesse les a transformés en monstres et en tueurs inhumains ; ou enfin ce sont des individus totalement brisés qui regardent vers leur passé comme un moment de folie criminelle temporaire.

 

Dans de telles conditions, pas étonnant qu’il soit difficile de faire un bilan de la lutte armée dans les pays impérialistes européens ! Mais tant que ce bilan n’est pas fait, il est suicidaire de vanter le bon vieux temps du « terrorisme de gauche », ou d’admirer le courage physique de ces militants sans s’interroger sur leurs erreurs politiques.

 

Tout jeune révolutionnaire qui admire aveuglément la violence armée des années 70, et le meurtre d’« ennemis de classe » (Moro, Besse, Schleyer, etc.) devrait méditer les quelques lignes écrites en prison par un ouvrier des Brigades rouges, Vincenzo Guagliardo, et qui figurent en introduction de ce dossier. Et Guagliardo illustre très concrètement son point de vue en citant un slogan très populaire dans les années 60 et 70 en Italie : « En frapper un c’est en éduquer cent », slogan utilisé pour justifier, le meurtre ou la « jambisation » (3) de contremaîtres, de juges, d’économistes, de flics, etc. Comme le note Guagliardo, la « dissuasion terroriste » repose sur le même principe que la justice bourgeoise.

 

Les « guérilleras » invisibles citées par Quadrelli ne nous offrent aucune analyse des rapports de force politico-militaires en France, même si elles sont obsédées par la présence d’ « espions », et la prétendue influence fasciste au sein des forces de police ; elles croient représenter les masses « noires » comme si elles défendaient les intérêts d’une nation « noire » opprimée par une armée « blanche » occupant leur territoire ; elles semblent penser qu’une émeute peut être magiquement transformée en une guerre civile et une révolution sociale (apparemment elles n’ont guère étudié les émeutes et les guerres civiles antérieures, et leurs conséquences politiques) ; elles confondent des insurrections soigneusement planifiées d’un point de vue militaire par des groupes militaro-bureaucratiques avec des émeutes spontanées ; elles prétendent s’opposer à des structures militaires permanentes et centralisées mais leurs références historiques montrent le contraire.

 

Y.C.

 

Notes

 

1. Sur la guérilla urbaine au Brésil on pourra lire l’ouvrage de Fernando Gabeira.

 

2. Pour le fondateur du nationalisme basque, Sabino de Arana, la « race basque » était supérieure à celle des monos, des singes, c’est-à-dire des prolétaires non basques. Même si l’ETA a pris ses distances avec le violent racisme et l’antisocialisme d’Arana, elle continue à promouvoir l’unité nationale avec la bourgeoisie basque « patriotique ». Durant les élections de 2001, le programme électoral d’Herri Batasuna vantait la « défense d’un modèle productif fondé sur les coopératives » (celles-ci représentent moins de 10% de la production au pays Basque et exploitent les travailleurs exactement comme les entreprises capitalistes traditionnelles), « un pacte social qui régulerait les relations syndicales entre Basques » (c’est-à-dire entre les bureaucrates syndicaux et les associations patronales), et la « formation d’une Assemblée nationale constituante » !

 

3. Che Guevara préconisait la création de foyer (focos) de guérilla qui, basés dans les campagnes et dirigés par une avant-garde de révolutionnaires professionnels issus des classes moyennes, devaient progressivement, grâce à leurs succès militaires, gagner l’appui des paysans puis des travailleurs des villes, et vaincre l’armée régulière locale.

 

4. Jambisation (gambizazione) : pratique consistant à tirer dans les jambes d’un « ennemi de classe » (contremaître, homme politique, journaliste, etc.), avec souvent des résultats bien plus graves que de « simples » blessures : paralysie voire décès du « jambisé ».

 

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Ecrit par Wellcome, le Lundi 1 Octobre 2007, 03:16 dans la rubrique Textes.