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Banlieues (2) : Forces de répression et guérilla urbaine
--> par Y.C
L’article d’Emanuel Quadrelli et le contenu de ses entretiens avec des « guérilleras noires » françaises posent plusieurs problèmes politiques généraux. Cet article, ainsi que les deux suivants, se concentrera sur trois divergences politiques fondamentales, sans bien sûr pourvoir épuiser le sujet :

- Il nous semble que, pour discuter des aspects militaires d’une stratégie révolutionnaire aujourd’hui, il faut avoir une bonne connaissance de l’ennemi, de son armée et de sa police ; visiblement cette connaissance fait défaut aux interlocuteurs de Quadrelli et à notre anthropologue radical ;

- Les « guérilleras » interviewées font l’apologie de la guérilla urbaine décentralisée, mais elles ne se sont apparemment livré à aucun bilan des expériences militaires révolutionnaires antérieures, et mélangent, dans une confusion totale, les différentes formes de lutte armée ;

- Quadrelli et ses interlocutrices veulent racialiser les questions sociales et cette position nous paraît suicidaire.

La haine des flics ne résoud rien

Haïr la police et les flics ne permet absolument pas de résoudre le principal problème qu’ils nous posent : comment obtenir leur soutien ou, au moins, leur neutralité ? Durant toutes les révolutions sociales ou nationales victorieuses, les forces de répression (police, armée, services secrets et police politique) ont connu une crise et des scissions. La ligne de fracture s’est parfois opérée autour de la division entre les éléments professionnels et non professionnels (les appelés). C’est pourquoi nous devons être attentifs aux dissensions qui peuvent apparaître dans l’appareil de répression et surveiller si elles ne renforcent pas les groupes ou partis fascistes.

Alimenter la haine de la jeunesse contre la police ne produit aucun résultat politiquement intéressant. Pour qu’une discussion sur la guérilla urbaine prenne une tournure plus concrète, il faut commencer par identifier l’ennemi et ses moyens matériels.

En France, il existe deux groupes différents de policiers armés :

Les « gardiens de la paix » de la DSCP

Ils sont chargés de la « sécurité publique » sur une base locale (environ 78 000 personnes dont 6 700 officiers) et qui dépendent de la DSCP, Direction centrale de la sécurité publique. Les BAC (Brigades anticriminalité) appartiennent à cette catégorie de policiers actifs dans les rues : leurs membres sont particulièrement motivés, car ils doivent servir pendant trois ans avant de passer une série de tests physiques - et même un entretien avec un psychologue.

Les flics qui dépendent de la DSCP (ceux qu’on appelle parfois encore les « gardiens de la paix » - un terme bien révélateur) peuvent habiter dans la zone où ils « travaillent », ou pas. La DSCP a recruté des Antillais dans ses rangs mais très peu de Franco-Africains et de Franco-Maghrébins (l’armée est, sur le plan de la « diversité », un peu plus en avance que la Maison Poulaga, même si ça coince au niveau de la promotion hiérarchique, comme l’a noté le CRAN, tout triste de ne pas voir de hauts gradés « noirs » ou maghrébins lors du défilé du 14 juillet ! Jusqu’où va se nicher l’antiracisme réactionnaire !). Mais dans les cités ouvrières les plus isolées, les flics de la DSCP (ceux qui sont idéalisés par la gauche et les trotskystes de Lutte ouvrière comme les éléments d’une possible « police de proximité) sont la plupart du temps physiquement absents (en effet, les flics de proximité ne sont que 4 000 à l’échelle nationale). C’est pourquoi la gauche réformiste, Lutte ouvrière et certaines associations réclament plus de policiers locaux. Cette position est politiquement très dangereuse, mais sa critique ne pourra être véritablement comprise que le jour où les habitants des quartiers seront prêts à s’organiser eux-mêmes et assez nombreux pour résoudre la plupart des questions de sécurité et de voisinage eux-mêmes. C’est très loin d’être une perspective immédiate, surtout dans les quartiers où prospèrent le trafic de drogue et des bandes bien organisées. Et cela explique peut-être pourquoi les projets sécuritaires avancés par la droite et la gauche sont en fait populaires parmi une partie de la classe ouvrière (« blanche » ou pas). En d’autres termes, beaucoup de travailleurs haïssent les « méchants » flics racistes, mais ne sont pas hostiles à une « bonne » police « républicaine ».

Les CRS ou Compagnies républicaines de sécurité (15 000).

Créée en décembre 1944, cette force de police a été fondée par le gouvernement de Gaulle. En janvier 1945, les groupes de résistance contrôlés par les staliniens furent intégrés dans la police pour remplacer les gardes mobiles. Ils étaient censés « restaurer l’ordre public », « poursuivre les collaborateurs, mettre fin à la contrebande, et réprimer les activités liées au marché noir ». Mais comme, dans certaines régions, les CRS restaient indépendants, le ministre socialiste Jules Moch réorganisa les CRS afin de repérer les flics staliniens, de les isoler et de les licencier. Après que la mairie et le tribunal de Marseille eurent été attaqués en novembre 1947 par des militants du PCF et de la CGT, sans que les CRS locaux interviennent, deux compagnies de CRS furent dissoutes par Jules Moch parce qu’elles n’étaient pas considérées comme suffisamment « sûres ».

En 1948, pendant la grève des mineurs et durant tous les conflits des années ultérieures, l’Etat fit systématiquement appel aux CRS.

Il les utilisa aussi contre les manifestations de paysans (1), de petits commerçants ou de routiers. Aujourd’hui, les CRS provoquent et harcèlent souvent les jeunes Franco-Africains et Franco-Maghrébins à l’entrée des grandes cités, dans les gares, etc. Organisés en 61 compagnies et regroupés dans 10 unités régionales, ils sont répartis sur tout le territoire. Ils passent la plupart de leur temps à parcourir le pays de long en large, et n’ont pas de liens stables avec la population locale, en raison de cette mobilité permanente. Ce mode de vie facilite évidemment le lavage des cerveaux et le développement d’idées réactionnaires en leur sein. Les CRS attirent généralement des gens qui ont un bagage scolaire limité. Et des types qui (même si, au départ, ils choisissent ce job parce qu’ils ne trouvent pas d’autre moyen de gagner leur vie) savent quel genre de sale boulot ils auront à effectuer : casser du manifestant ou de l’émeutier. Les CRS recrutent aussi des flics de la DSCP qui veulent plus d’ « action ».

Les CRS exercent également d’autres fonctions (surveiller les plages, sauver des montagnards ou des alpinistes en difficulté, surveiller les autoroutes, rester assis pendant des heures à taper la belote près des bâtiments officiels, etc.) qui constituent la face « sociale » de leur activité répressive.

En dehors de ces deux forces de police classiques, il faut, pour être complet, mentionner un vivier d’agents de la répression, le plus souvent non armés mais prêts à l’être si la loi changeait, constitué par les différentes polices municipales dont les effectifs sont passés de 5 000 à 19 000 hommes depuis 1983. Mais il y a surtout une force beaucoup plus importante qui,elle, dépend de l’armée :

La gendarmerie nationale

Très actifs sur l’ensemble du territoire, mais dans les villes de moins de 20 000 habitants et dans les campagnes, les 90 000 gendarmes habitent dans des casernes ou en appartements, et disposent de pouvoirs administratifs, judiciaires et militaires. Parmi eux, il faut mentionner les gendarmes mobiles (17 000), une force militaire particulièrement dangereuse, que l’Etat utilise contre les manifestants, mais aussi dans le cadre de conflits dans d’autres pays (Liban, Kosovo, Côte-d’Ivoire, etc.) au service des intérêts de l’impérialisme français.

Et à ces policiers et gendarmes armés (183 000), il faut ajouter environ 250 000 soldats répartis entre la marine, l’aviation et l’armée de terre. Soit un total de 433 000 personnes qui ont à leur disposition toutes sortes d’armes, de chars, d’avions et de bateaux pour écraser n’importe quelle insurrection.

Une conception simpliste de la guérilla urbaine

C’est seulement en prenant en compte les différents objectifs, les diverses fonctions et le recrutement social des différentes forces militaires et policières que l’on pourrait commencer à réfléchir à une stratégie politique efficace pour les combattre et les vaincre.

Visiblement ni Quadrelli, ni les guérilleras ne se sont posé ce genre de problème. Ils en sont restés à une approche simpliste de la guérilla urbaine : ils mettent tous les flics et les militaires dans le même panier, les traitent tous comme des ennemis qu’il faudrait cogner aujourd’hui et tuer demain. Cette approche suicidaire ne prend même pas en compte les écrits et l’expérience des icônes de la guérilla dont les « guérilleras noires » nous vantent les mérites.

Tous les mouvements de libération nationale victorieux ont infiltré les forces de police et l’armée ; ils avaient une propagande spécifique en leur direction, propagande qui ne se limitait pas à une alternative primaire, du genre « Quittez l’uniforme sinon on vous bute ! »

Même à une échelle microscopique, la pratique de la guérilla urbaine, dans la situation actuelle en Europe occidentale, aide l’Etat bourgeois démocratique à jouer son rôle soi-disant protecteur : brûler des bus qui viennent déjà rarement dans les banlieues isolées ; mettre le feu à des crèches qui permettent aux femmes de gagner de petits salaires et de survivre ; cramer des écoles qui sont le seul moyen pour leurs enfants d’avoir un meilleur boulot que leurs parents ; brûler des bureaux de poste ou attaquer des pompiers, tous ces actes n’ont aucun lien évident, pour les travailleurs, avec le fait de lutter contre l’agressivité permanente et le racisme de nombreux policiers. Cela ne signifie pas que la masse des habitants des « quartiers » ne comprennent pas la révolte des jeunes (leurs propres enfants ou les enfants des voisins), mais il y a une différence entre comprendre, approuver, soutenir activement et participer à une émeute. Quadrelli et ses guérilleras effacent toutes ces nuances dans leurs « analyses », d’une façon purement artificielle et démagogique.

Dans la situation actuelle, la pratique de la guérilla urbaine présente encore d’autres graves inconvénients:

- elle renforce l’idéologie répressive, populaire dans une bonne partie de la classe ouvrière (franco-française ou pas), comme l’a montré la récente victoire aux élections présidentielles de Nicolas Sarkozy le 6 mai 2007, et même la petite victoire de la droite qui a suivi, le 17 juin 2007 ;

- elle accroît la coupure entre ceux qui affrontent physiquement les forces de police et ceux qui n’y sont pas encore prêts (pendant le CPE, par exemple, il pouvait y avoir 300 000 manifestants dans les rues de Paris et 1000 jeunes prêts à se battre, et qui évidemment constituaient une cible facile pour les flics) ;

- elle permet à l’Etat d’inventer de nouvelles tactiques pour à la fois repérer des éléments « violents » et les arrêter sans toucher à la foule. On a pu voir ces tactiques en action pendant la lutte contre le CPE, durant laquelle les flics en uniforme « patientaient » jusqu’à la fin des manifestations ; l’Etat envoyait donc des centaines de flics en civil, qui agissaient en petits groupes, prenaient des milliers de photos et filmaient les éléments qui dissimulaient leur visage, organisaient l’arrestation des petits groupes mobiles de jeunes racketteurs avec l’aide des policiers en uniforme disséminés dans les rues parallèles, etc. Un autre exemple : l’utilisation systématique d’hélicoptères durant les émeutes de novembre 2005 afin de mieux coordonner la répression entre les différentes forces de police.

Les techniques de contre-guérilla

Le chef d’escadron Talarico, de l’armée française, décrit comment certaines tactiques utilisées par les émeutiers de novembre sont proches de celles défendues par Carlos Marighella dans son Mini manuel de guérilla urbaine. Cela avait déjà été remarqué par la presse à propos des événements de Grigny. Ce qui est intéressant, dans l’article de Talarico (2), c’est la liste de mesures qu’il préconise pour contrecarrer demain des émeutes de plus grande ampleur, qu’elles soient dirigées par un groupe révolutionnaire ou islamique (sic !) :

- couper les relais utilisés pour les téléphones portables et brouiller les communications VHF,

- équiper les policiers de terrain avec de moyens de vision nocturne,

- équiper des hélicoptères avec de jumelles de vision nocturne, des caméras thermiques, des GPS et des systèmes cartographiques, etc., pour repérer les personnes situées sur les toits et les groupes d’émeutiers mobiles ;

- déployer des hélicoptères transportant des tireurs d’élite,

- utiliser des hélicoptères transportant des troupes d’élite capables d’atterrir sur le toit des immeubles,

- faire circuler des drones munis de caméras infrarouges.

Ces quelques propositions montrent l’irresponsabilité de ceux qui poussent les jeunes des quartiers à affronter physiquement les forces de police sans aucune préparation, sans aucune organisation ou programme politique et en l’absence d’une situation de guerre civile.

L’ennemi de classe a tout le temps et tous les moyens disponibles pour mettre au point une stratégie de contre-guérilla ; par conséquent, une stratégie révolutionnaire devrait, au minimum, prendre en compte les capacités de l’adversaire et ne pas se contenter de phrases incantatoires.

En fait, la notion de guérilla urbaine est souvent fondée sur une idée simplette, mais même pas explicitée : la répression se renforcera de plus en plus, les forces de police tueront plusieurs personnes, et alors éclatera une révolte de masse, plus ou moins spontanée.

Dans les Etats démocratiques occidentaux (au moins en Europe de l’Ouest depuis la Seconde Guerre mondiale - les Etats-Unis étant un cas à part, où l’usage des armes à feu contre les manifestants est plus fréquent), les forces de police n’utilisent généralement pas leurs armes contre les manifestants. Quand ils tuent des gens, c’est le plus souvent avec leurs matraques, ou avec des armes prétendument défensives (flashball, taser, etc.) rarement avec des balles réelles.

Les techniques de répression conçues pour contrôler les actions de rues se perfectionnent sans cesse (par exemple, durant les manifestations anti-CPE, les flics ont utilisé des projectiles type paintball pour attraper les « émeutiers » un peu plus tard), et ce renforcement permanent des techniques de répression ne correspond pas à une augmentation parallèle du nombre d’émeutiers prêts à les affronter.

Un conflit asymétrique

La guérilla urbaine n’aurait un sens que si elle faisait partie d’un plan plus général pour entraîner les manifestants à une confrontation militaire avec l’Etat dans le contexte d’une guerre civile. Mais une guerre civile se déroule-t-elle en ce moment en Europe occidentale, ou est-elle sur le point d’éclater ? Si l’on défend une telle hypothèse, alors on doit être capable de prévoir et expliquer quelles seront les prochaines étapes du combat. Sinon, on joue avec les mots dans le monde virtuel d’Internet, ou, plus grave, avec la vie de quelques jeunes révoltés qui croient sincèrement que la révolution sociale se produira rapidement et sont prêts à aller en prison ou même à risquer leur peau pour elle.

En ce qui concerne les pays où les flics tirent fréquemment sur les manifestants (en Amérique du Sud ou en Afrique, par exemple), les confrontations entre les émeutiers et les flics n’ont jamais mené à la croissance d’un mouvement de résistance armé, du moins jusqu’à maintenant. Au Venezuela, le Caracazo (cinq jours d’émeutes en février 1989) a conduit indirectement au premier coup d’Etat (raté) de Chavez en 1992, mais pas au développement de la moindre guérilla urbaine ou de la moindre guerre civile. En 2006, la dernière grève générale de trois mois en Guinée, qui était un mouvement de masse authentique, n’a provoqué la formation d’aucun mouvement de guérilla.

Ceux qui promeuvent la tactique de la guérilla urbaine dans les Etats impérialistes occidentaux ignorent généralement le rôle des forces armées professionnelles et ne se focalisent que sur les forces de police, ce qui est une erreur grossière, spécialement dans un pays comme la France qui a un minimum de 433 000 hommes armés pour une population de 67 millions d’habitants. On n’affronte pas des tanks, des avions qui lancent des bombes et des bateaux qui lancent des missiles, seulement avec des kalachnikovs et des grenades achetées aux réseaux contrôlés par le crime organisé et les groupes djihadistes-terroristes.

Si l’on veut discuter de l’insurrection armée dans les pays impérialistes occidentaux, on doit aller beaucoup plus loin que simplement tabasser trois flics dans une rue isolée, ou balancer quelques cocktails Molotov sur des voitures de police ou quelques pierres sur un bâtiment administratif vide et ensuite s’enfuir en courant.

Y.C.

Notes

1. Les manifestations de paysans sont très fréquentes en France : par exemple, entre 1982 et 1990, sur 152 manifestations surveillées par les CRS, 39% mobilisaient des paysans, 19% des ouvriers et 14% des lycéens et des étudiants.

2. Ceux qui s’intéressent au point de vue de notre ennemi de classe liront avec profit « Guérilla et violences urbaines » sur l’un des sites de l’armée française : www.college.interarmees.defense.gouv.fr/spip.php ?article 639.

Ce texte explique pourquoi ni les islamistes ni les trafiquants de drogue n’ont joué le moindre rôle dans les « violences urbaines ». Même si l’auteur affirme que les combats entre les « jeunes des banlieues » et les flics offraient quelques similitudes avec la guérilla urbaine, il conclut que cela ne découlait pas d’une stratégie cohérente. Il énumère aussi quelques mesures de contre-guérilla, évoquées ici.

Article suivant : Banlieue (3) Hypothèses sur les différentes formes de lutte armée

sur Mondialisme.org

Ecrit par Wellcome, le Samedi 8 Septembre 2007, 09:20 dans la rubrique Textes.

Commentaires :

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09-05-11 à 21:45

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