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Des mythes de la Resistance en Cevennes et ailleurs
--> par André Dréan
  Lettre ouverte aux rédacteurs du « Bulldozer est passé près de chez vous »
Bonjour,
Depuis plusieurs semaines, je reçois à intervalles réguliers par mail le «
Bulldozer », le papier rédigé par des occupants de La Picharlerie, dans les
Cévennes, à l’occasion de la destruction du lieu par les forces de l’ordre. J’ai
déjà émis, de façon verbale, des critiques à son égard et expliqué pourquoi je ne
le diffuse pas. Si ceux qui occupaient La Picharlerie m’étaient étrangers, je
n’irais sans doute pas plus loin. Mais ce n’est pas le cas. J’y compte des amis,
parfois très proches, et la moindre des choses, dans de pareils cas, c’est de
porter à leur connaissance par la plume ce que je leur reproche.
 
Je n’ai pas participé à l’occupation de La Picharlerie. Je n’y ai même jamais mis
les pieds, Par suite, je laisse bien volontiers aux premiers intéressés le soin de
faire le bilan critique de toutes ces années d’activités individuelles et
collectives, que je n’ai pas l’intention de dénigrer. Par contre, j’ai pas mal
circulé dans les Cévennes, dès les lendemains de Mai 68. J’y fus confronté à
suffisamment d’histoires glauques pour être en désaccord total avec
l’interprétation de la Résistance locale que charrie le « Bulldozer ». A l’époque,
j’étais maoïste et l’organisation à laquelle je participais, contrainte à la
clandestinité, était à la recherche de complices dans les régions et les milieux
issus de la Résistance, pour monter des planques, des imprimeries, voire des
centres destinés à effectuer des exercices assez peu spirituels. Ce qui, dans
quelques cas rares, a fonctionné. Car nous allions en priorité à la rencontre de
ceux qui avaient, aux lendemains de la
Libération, refusé de rendre les armes et qui reprochaient au PCF de ne pas avoir
saisi le pouvoir d’Etat par la force à la mode bolchevik. L’une des directives de
l’organisation était d’ailleurs de nous manifester, à l’occasion, sur les lieux de
pèlerinage des associations d’anciens de la Résistance, pour bien montrer notre
filiation avec elle, du moins avec les fractions qui nous paraissaient les plus
susceptibles de partager nos conceptions. Guingouin, fondateur du premier maquis
du PCF dans le Limousin à l’époque du pacte Staline-Hitler, contre les ordres de
Thorez et chassé du Parti dans les années 50, était notre modèle. Evidemment,
lorsque nous le rencontrâmes dans l’Aube, à la même époque, il nous déçut beaucoup
par son chauvinisme, par son attachement religieux au Parti qui l’avait pourtant
traîné dans la boue et par son refus de discuter des questions importantes, le
rôle du PCF dans la reconstitution de l’Etat à la Libération, par exemple. Il est
vrai qu’il avait mis lui-même la main à la pâte dans le Limousin, à la veille de
la drôle de guerre, comme responsable de l’Organisation Spéciale locale, chargée
de traquer l’opposition trotskyste…
 
Bref, c’était l’époque où Dominique Grange, égérie de la Gauche prolétarienne,
chantait : « Nous sommes les nouveaux partisans, partisans de la guerre de classe…
» Nous participions à la belle et touchante tentative de réconciliation entre les
jeunes maos-staliniens et les vieux staliniens-staliniens qui, en réalité,
n’avaient en commun que de reprocher à la direction du PC thorézienne l’acceptation
du « révisionnisme kroutchévien », selon les propres termes de Guingouin. De sa
retraite de l’Aube, il avait dû lire Mao pour parler comme ça. Le dernier carré des
puritains de la Résistance ne comprenait pas que Thorez n’avait jamais réalisé que
du « révisionnisme stalinien ». Nous non plus d’ailleurs. En pur « homme de
confiance » que Staline plaçait aux postes clés du Komintern, Thorez tentait de
concilier la raison d’Etat de Moscou avec celle de Paris, quitte à faire passer la
première avant la seconde, au grand dam de ses détracteurs nationalistes dans le
PCF, par exemple Guingouin, lors du pacte germano-soviétique.
 
Au fil des discussions dans les Cévennes, ça devenait d’ailleurs intenable de
concilier la défense de Staline et la critique des « trahisons » de Thorez, le «
premier stalinien de France », en particulier celles envers les peuples colonisés
par la France. Car notre filiation à nous, maoïstes, ce n’était pas que la «
résistance nationale » en France, mais aussi les « luttes de libération nationale
», y compris celles dirigées contre l’Empire français. Nous allions parfois y
participer, sans comprendre que nous favorisions la formation de nouveaux Etats.
Mais nous prenions au pied de la lettre la formule de Lénine : « Des peuples qui en
oppriment d’autres ne sauraient être libres. » D’où nos critiques acerbes contre le
chauvinisme du PCF, particulièrement odieux lorsque le « premier parti de France »
accéda au sommet de l’Etat pour participer à la reconquête de l’Empire. Thorez
était vice-président du Conseil avec Tillon, fondateur des FTP, comme ministre de
l’Air, lors des massacres de Sétif en 1945 ; il occupait encore le même poste avec
Billoux, l’un des principaux créateurs de l’OS, comme ministre de la Défense, au
cours des génocides à Tananarive et aux quatre coins de l’île en 1947. Bien
entendu, le rappel de pareilles histoires de famille ne pouvait que nous fermer les
portes, y compris celles des déçus du PCF dans les Cévennes. Car nous avions oublié
qu’ils étaient aussi des vétérans des guerres coloniales auxquels ils avaient
participé, parfois comme volontaires, sous la houlette de leurs chefs de maquis
devenus, à la Libération, officiers dans l’armée, voire ministres d’Etat comme
Tillon. De plus, au gré des rencontres avec les retraités staliniens des FTP, nous
en apprenions de belles sur l’histoire réelle de la Résistance dans les Cévennes et
dans les zones avoisinantes. Bon nombre d’entre eux justifiaient toujours la
liquidation des oppositionnels au nom de l’union nationale, à l’extérieur comme à
l’intérieur des FTP, des trotskistes aux anarchistes, ceux-ci étant en règle
générale des réfugiés de la guerre d’Espagne. L’une de ces immondes opérations eût
d’ailleurs lieu à 50 kilomètres à peine au sud de Sainte-Croix, si mes souvenirs
sont bons, contre des Espagnols libertaires et quelques Allemand proches du
communisme des conseils. Nous étions maoïstes, très jeunes et très cons, mais déjà
assez révoltés pour que de telles attitudes sordides nous révulsent. Au fil des
mois, l’épopée héroïque des prétendues guérillas ressemblait décidément à ce que
nous connaissions trop bien : le militarisme d’Etat. Dégoûtés, nous décidâmes
d’arrêter là l’aventure. D’ailleurs, la chefferie locale du PCF, ayant appris que
des maoïstes braconnaient sur ses terres, commençait à nous rendre la vie
impossible, verrouillant le terrain via les associations d’anciens combattants à sa
botte et n’hésitant à nous balancer à la gendarmerie dans la pure tradition de la
Résistance.
 
Il existe évidemment de grandes différences entre la période dont je vous parle,
celle de l’après-Mai 68, et l’actuelle. Le PCF, resté très stalinien, en « théorie
» comme en « pratique », était omniprésent. Sans lui, le retour au calme après Mai
68 n’aurait pas été possible. Il assurait son rôle de pompier social ainsi que la
défense de son monopole sur des secteurs entiers de la vie sociale et politique via
la chasse au moindre oppositionnel, y compris par la violence. Désormais, le «
premier parti de France » est devenu le « dernier » et, pour survivre, il a décidé
de réviser sa propre histoire et de changer de tactique. La seule roue de secours
idéologique dont il dispose, c’est la mythologie sur la Résistance, et encore, à
condition d’en regratter le parchemin en fonction des impératifs de la nouvelle
époque. Place du Colonel Fabien, les archives sensibles sont en libre accès, mais
après le passage du broyeur. Voilà pourquoi, d’affaire nationale, menée par des
Français contre les Boches, la Résistance a été récemment élevée, par les chefs du
PCF, au rang de lutte citoyenne de portée mondiale à laquelle tous les opprimés
peuvent s’identifier. La République française a valeur de république universelle,
c’est bien connu. Les FTP, « fidèles à l’esprit universaliste de la révolution
française », acceptaient en leur sein les nationalités européennes les plus
diverses, à la seule condition qu’elles soient antifascistes. Voilà ce qu’affirme
désormais « L’Humanité ». Laquelle négocie le virage de l’intégration européenne
contre les derniers ultranationalistes du PCF. « L’Humanité », évidemment, «
oublie » de signaler que la création officielle des FTP coïncida avec la rupture
du pacte germano-soviétique par Hitler et l’appel de Staline « aux peuples du
monde entier à lutter contre le fascisme ». L’intérêt d’Etat de l’URSS et celui de
la « libération de la France » étaient désormais en phase. Par suite, les anciens
cadres des Brigades
internationales présents dans l’Hexagone, y compris les Allemands de la Brigade
Thaelmann, furent reconvertis en chefs de maquis sous la houlette de Tillon, avec
la bénédiction du Kremlin. A l’image des Brigades, il organisa les FTP de façon
militaire, plaçant des « hommes de confiance » du Komintern aux postes clés,
chargés de discipliner les troupes aux origines nationales les plus diverses et de
briser la moindre tentative de résistance à la militarisation. La portée de la
Résistance en France dépassa effectivement les limites de l’Hexagone, mais le
jargon républicain est destiné, ici comme au cours de la révolution en Espagne, à
en camoufler les enjeux réels : les intérêts d’Etat. Dans cette optique, le PCF
réhabilite à tour de bras les exclus de l’histoire officielle des FTP, à commencer
par Guingouin, et, pourquoi pas demain, les anarchistes qu’il massacra au maquis.
Parallèlement, il est à l’affût des moindres forces qu’il pourrait capter sur le
terrain de l’antifascisme, via les associations qu’il contrôle encore en partie,
en particulier celles d’anciens combattants de la Résistance. Lesquelles ne
manquent pas évidemment de protester contre la destruction de leurs autels sacrés
dans les Cévennes. Mais en oubliant par la même occasion de parler des fosses
communes anonymes que certains de leurs membres ont rempli des cadavres des
révolutionnaires, assassinés par leurs soins.
 
Je ne compte pas ici résumer la tranche d’histoire complexe, cachée derrière le
joli terme de Résistance, et encore moins la réduite à celle des FTP. Mais
simplement signaler les dangers de la pente savonneuse sur laquelle vous vous
engagez et qui risque de vous conduire vers quelque marécage particulièrement
nauséabond. Le « Bulldozer » joue aussi le rôle d’appel à la solidarité. Mais je ne
peux être solidaire qu’avec ce qui est autonome. L’existence d’activités
individuelles et collectives à la Picharlerie est bien sûr la preuve que ce désir
d’autonomie n’est pas du pipeau. Mais la reprise, qui plus est en tête du papier,
des mythes de la Résistance l’annule. L’organisation de la Résistance fut le
prélude à la reconstitution de l’Etat nation hexagonal. Rien de moins autonome, vu
sous cet angle, que les FTP, y compris dans les Cévennes, à moins d’avaler
l’histoire officielle du maquis, telle qu’elle est racontée par les associations
d’anciens combattants. La Résistance, pour moi comme pour les compagnons de la
génération précédente qui eurent affaire à elle, c’est essentiellement l’histoire
de la liquidation, parfois par les armes, de la moindre tentative d’autonomie, y
compris dans les maquis créés en dehors d’elle. Comme le disait l’un de mes
proches, libertaire aujourd’hui décédé : « Les lieux de culte de la Résistance me
débectent car ils cachent nos charniers. » N’oublions jamais que le Parti des
fusillés fut celui des fusilleurs. Alors, amis de la Picharlerie, ne venez pas nous
bassiner avec la Résistance, terme qui renferme le même mensonge que celui de
Démocratie. Là, je le dis clairement, il n’y a aucune solidarité possible. En
mettant en avant de pareils thèmes racoleurs, c’est à la récupération par tous les
apologistes des mythes fondateurs de l’Etat issus de la Résistance que vous allez
être confronté, pour les raisons indiquées au paragraphe précédent. Vous désirez
sans doute élargir la mobilisation et briser le relatif
isolement envers le milieu local qui limite, en l’absence de mouvement de révolte
plus général, les perspectives et les activités de tels lieux occupés, surtout en
zone rurale. Vieux problème. Mais il est impossible de dépasser des limites qui ne
dépendent pas que de vous, loin de là, en faisant des compromis sur les principes.
Vous y gagnerez de la reconnaissance officielle, via « Libération », par exemple,
qui invite ses lecteurs en mal d’exotisme à faire du tourisme dans les Cévennes, «
terre d’asile, terre de camisards et de maquisards ». De la reconnaissance, oui…
Mais, à quel prix, je vous le laisse deviner.
 
André Dréan
nuee(a)club-internet.fr
Paris, le 18 août 2007
 
sur A-infos
 
Ecrit par Wellcome, le Vendredi 7 Septembre 2007, 18:26 dans la rubrique Textes.