Banlieues françaises et guérilla urbaine (1)
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« Le paradoxe de la pratique de la guérilla, lorsqu’elle se développe en l’absence de guerre civile, est le suivant : la justice restauratrice (qui est à la base de l’idée socialiste) ne peut alors qu’être remplacée par son contraire, l’idée violente d’une justice punitive qui, par sa nature même, ne peut accomplir l’objectif socialiste. La “ propagande“ de la guérilla fonctionne comme une sanction pénale, parce qu’il est impossible de libérer la moindre “zone occupée”. Par conséquent, la pratique de la guérilla se réduit à celle d’une sorte d’Etat parallèle, qui lui-même se réduit à sa principale fonction : celle d’un tribunal pénal. » Vincenzo Guagliardo, militant ouvrier des Brigades rouges, emprisonné
Les quatre textes suivants tentent de répondre aux hypothèses avancées par Emanuel Quadrelli dans un article publié par la revue britannique Mute. On peut le trouver en anglais sur Internet : http://www.metamute.org/en/Grassroots-political-militants- Banlieusards-and-politics Intitulé « Les banlieues, les militants de base et la politique », ce texte se fonde sur plusieurs interviews de « guérilleras noires (1) » suite aux émeutes de novembre 2005, interviews publiées dans le journal Il Manifesto, en Italie. Il nous a semblé utile de critiquer les idées que défend cet anthropologue radical et surtout les mythes qu’il propage à travers ses interviews, car ils sont à notre avis dangereux pour ceux qui les prendraient au sérieux.
« Emeutes et contes de fées pour radicaux » s’attache aux erreurs, aux exagérations, aux déformations contenues dans l’article de Quadrelli comme dans les propos des « guérilleras » interviewées dont les noms sont indiqués par des initiales (MB, MT, etc.). Une bonne partie de ces erreurs auraient pu être évitées si notre anthropologue radical avait consulté d’autres sources pour mettre en perspective les analyses de ses interlocuteurs, ou s’il n’avait pas seulement cherché à confirmer ses propres rêves ou fantasmes. Mais après tout, il n’est pas le seul à refuser de faire « l’analyse concrète d’une situation concrète ». N’a-t-on pas entendu à la télévision Olivier Besancenot, porte-parole de la LCR, se réjouir du fait que la gauche n’avait finalement pas fait un si mauvais score aux législatives de juin 2007 - « oubliant » ainsi les 40 % d’abstentions ?
Il n’y a pas que Quadrelli et ses amies « guérilleras » qui ont besoin d’amphétamines politiques pour survivre dans cette société capitaliste pourrie.
Dans son article, Quadrelli règle ses comptes avec certains intellos féministes, altermondialistes, proches de Toni Negri ou de la gauche caviar, qu’il ne cite même pas nommément. Quadrelli aurait été mieux inspiré, et son travail plus utile, s’il s’était intéressé à tous ces spécialistes des sciences sociales, qu’ils se prétendent neutres ou objectifs, altermondialistes, proches du PS ou du PCF, qui ont mené une véritable « émeute de papier » (l’expression est de l’un d’eux, Gérard Mauger, disciple de Bourdieu, et qui connaît bien ce milieu puisque c’est le sien), qui ont multiplié les colloques, les livres collectifs et les articles et qui ont surtout proposé leurs services et leurs bons conseils à l’Etat pour une « police de proximité », une « meilleure » justice, une politique urbaine plus « sociale » et plus de « diversité » dans les élites politico-médiatiques.
Notons enfin que la révérence de Quadrelli vis-à-vis de la « lucidité » de Michel Foucault, référence actuelle de nombreux militants libertaires ou anti-autoritaires, est plutôt amusante. En effet, Foucault a successivement eu des illusions sur le parti stalinien français (PCF), les mao-spontanéistes (2) des années 70, la pseudo révolution islamique de Khomeiny, la CFDT (tout comme, pour ce qui concerne ce syndicat, Cornelius Castoriadis). Sans compter qu’il acceptait de dîner à l’Elysée avec Mitterrand quand celui-ci en exprimait le désir. Foucault pensait que le Parti socialiste ne se montrait pas suffisamment radical à cause de son alliance avec le PCF (ce qui souligne l’étendue de ses illusions sur la social-démocratie) et il déclara qu’il aurait donné des conseils au gouvernement socialiste si ce dernier lui avait demandé son opinion sur des questions comme les prisons ! En fait, comme beaucoup d’intellectuels de gauche, il était fasciné par le pouvoir et regrettait que les politiciens de « gauche » ne le consultent pas plus souvent. Ce qui est plutôt comique lorsque l’on sait que Foucault passe aujourd’hui pour LE penseur anti-autoritaire. Si sa participation courageuse à la lutte contre le système pénitentiaire français dans le cadre du GIP (Groupe d’information sur les prisons) doit être saluée, et si certaines de ses analyses peuvent être utiles pour comprendre divers aspects des institutions étatiques modernes, on peut se permettre d’éprouver quelques doutes sur sa « lucidité » politique.
« Forces de répression et guérilla urbaine » s’attache à décrire sommairement les forces de police en France, parce qu’un « guérillero urbain doit avoir une grande capacité d’observation. Il doit être bien informé sur tout, en particulier sur les mouvements de l’ennemi (3) » a écrit un Brésilien « blanc » qui pratiqua la lutte armée sur le terrain, et pas dans le monde virtuel.
« Quelques hypothèses sur la lutte armée et la guérilla » esquisse de façon très sommaire et schématique quelques pistes pour un bilan des différentes formes de lutte armée dans l’ex-monde colonial et les métropoles impérialistes. « La racialisation des questions sociales mène à une impasse » tente de répondre à l’usage (hypocrite ou délibéré) de pseudo-concepts liés aux vieux concepts imaginaires des « races » dans le discours politique de la gauche et de l’extrême gauche.
Malgré la virulence des critiques ici formulées, il est évident que l’essentiel du travail reste à faire, tant sur le plan pratique que théorique. Mais il serait catastrophique que les jeunes révolutionnaires d’aujourd’hui répètent exactement les mêmes erreurs qui ont pu être commises dans les années 60 et 70, comme semblent le souhaiter Quadrelli et ses « guérilleras noires ». Y.C.
Emeutes et contes de fées pour radicaux
Des « guérilleras » invisibles Le raisonnement de Quadrelli repose sur le témoignage de plusieurs « guérilleras ou guérilleros noirs » (4). Si ces hommes et ces femmes ont réellement mené des attaques contre des agences d’intérim et contre les voitures, les maisons particulières, les entrepôts, les ateliers clandestins de nombreux patrons et contremaîtres, alors ils sont probablement activement recherchés par les forces de police françaises. Et si les banlieues sont pleines d’« espions » comme ils le prétendent, il faut espérer que les données fournies dans les interviews ne permettront pas de les identifier. On peut préserver l’anonymat du sous-commandant Marcos dans une forêt isolée du Mexique, par contre, l’opération est beaucoup plus difficile dans les banlieues contrôlées par des flics et toutes sortes d’informateurs (5).
D’un autre côté, il est difficile de croire que si vraiment, comme les « guérilleras » l’affirment, « dans la guerre de guérilla qui s’est développée dans les banlieues, toute la population, à part les espions et les maquereaux, avait un rôle combattant », aucune information n’ait été publiée avant 2007 sur un mouvement qui prétend avoir mené de nombreuses actions en novembre 2005 en France.
Ces actions n’ont été révélées que dans Il Manifesto et Collegamenti Wobly en italien ainsi que dans Mute en anglais. Il est difficile de savoir si ces actions sont réelles, exagérées ou complètement inventées, puisqu’elles n’ont été l’objet d’aucun débat approfondi en France (6). Néanmoins, sur de nombreux points aisément vérifiables, les interviews (tout comme l’article de Quadrelli qui ne prend jamais la moindre distance avec les propos de ses interlocuteurs), contiennent beaucoup d’affirmations vagues, d’exagérations grossières et d’erreurs factuelles, concernant soit les émeutes de novembre 2005 soit la société française en général. L’inventaire sera peut-être fastidieux pour le lecteur, mais on ne peut laisser se répandre de telles sornettes sur des questions aussi graves.
1) Sarkozy, la « racaille » et le « Kärcher »
Quadrelli ne mentionne ni le contexte ni l’origine de la phrase de Sarkozy qu’il cite : « Vous en avez assez, hein ! Vous en avez assez de cette bande de racailles ! Bien on va vous en débarrasser. » « Les mots « racailles » et « Kärcher » (celui-ci est cité dans une des interviews) ont été d’abord prononcés par deux Maghrébins ou Franco-Maghrébins que le ministre de l’Intérieur rencontra à La Courneuve le 25 octobre 2005 et Argenteuil, au moins de juin 2005, deux banlieues ouvrières de la région parisienne. L’un était un parent du jeune Sidi Ahmed Hammache, tué à l’âge de 11 ans alors qu’il était en train de nettoyer la voiture de ses parents en bas de son immeuble. Il a été touché par une balle perdue tirée lors d’un affrontement entre deux gangs qui s’affrontaient dans la cité des 4000. Et la seconde personne était une habitante d’Argenteuil qui, de son balcon, interpella le ministre de l’Intérieur.
Comme tout politicien populiste et démagogue efficace, Sarkozy a instantanément recyclé ces mots (en fait la phrase contenant le mot Kärcher a été prononcée lors d’une conversation semi-privée avec la famille de Sidi Ahmed, mais elle a été l’objet d’une fuite dans la presse) : il les a répétés pendant des mois dans les médias, suivi bien sûr par les dirigeants et les députés de l’UMP. Toutes ces canailles savaient parfaitement que ces termes étaient suffisamment ambigus pour satisfaire à la fois les « Blancs » racistes et les « non-Blancs » qui vivent dans des conditions difficiles et ont l’illusion que de « bons » flics de proximité pourraient faire la différence. Si l’on ignore qui a, le premier, prononcé ces mots, alors il est bien sûr plus confortable d’expliquer pourquoi une partie de la jeunesse « noire » déteste Sarkozy pour ses paroles insultantes et implicitement racistes. Mais cela présente un gros inconvénient : on a alors du mal à comprendre pourquoi certaines fractions de l’immigration, des Franco-Maghrébins et des Franco-Africains, pensent que Sarkozy avait finalement raison d’utiliser ce langage. Et pourquoi ils n’en ont pas conclu automatiquement que le ministre était raciste, du simple fait qu’il utilisait des mots qu’ils emploient fréquemment pour décrire leur propre cité.
Il est donc indispensable de souligner les spécificités du populisme de Sarkozy pour comprendre les différences entre ce politicien et le raciste décomplexé Le Pen, et aussi pourquoi Sarkozy a non seulement attiré une proportion significative des électeurs de Le Pen mais aussi 33 % des électeurs de la classe ouvrière, lors des élections de mai 2007.
2) Selon M.B. « On a beaucoup parlé des voitures brûlées comme s’il s’agissait de la seule cible, mais en réalité la cible principale était ailleurs : les flics et les commissariats. (...) Des agences d’intérim et des missions locales ont été attaquées et détruites en aussi grand nombre que les commissariats » ; « un bon nombre d’entreprises, celles qui utilisent exclusivement de la main-d’œuvre illégale ou du travail semi-forcé, sont parties en flammes » ; « nombre d’entre elles (...) exploitent surtout des femmes à travers le travail aux pièces effectué à domicile. Ou, fréquemment, en aménageant des entrepôts ou des caves dans lesquels les femmes travaillent dans des conditions presque dignes d’un camp de concentration ». « Nous et certains groupes de femmes (...) avons réglé nos comptes avec nos patrons et contremaîtres tandis que la bataille faisait rage dans les rues. Quand il nous était impossible d’attaquer les entrepôts, nous nous sommes attaqués aux maisons et aux voitures [de ces types]. Certains caïds ont eu aussi des “accidents” ».
Selon M.B., une sorte de division du travail se serait mise en place : les émeutières se seraient occupé des agences d’intérim et des ateliers clandestins, tandis que les émeutiers auraient attaqué les commissariats et les poulets. En admettant que cela se soit effectivement produit, pourquoi cette division du travail militant n’est-elle critiquée ni par les « guérilleras » ni par l’auteur ? Est-elle « naturelle » ? positive ? ou réactionnaire ? Chaque « communauté » fondée sur le « genre » ou la « race » doit-elle s’organiser indépendamment et choisir ses cibles spécifiques pour se libérer de façon plus efficace ? Et une telle « libération » affecte-t-elle la domination du Capital ? Aucune réponse n’est apportée à ces questions.
Bâtiments privés
Il n’existe pas de statistiques concernant le nombre d’agences intérimaires ou d’ateliers clandestins attaqués ou brûlés. Le gouvernement s’est contenté d’annoncer que 74 bâtiments privés avaient été détruits en France. Et les « guérilleras » ne fournissent aucun chiffre.
Travail temporaire et travail clandestin
Il est sans doute utile de préciser quelques données sur la précarité en France car M.B. semble penser que le travail temporaire y jouerait un rôle économique décisif. En 2003, 86,9 % des salariés avaient un CDI, tandis que 2,3 % travaillaient en intérim, 8 % avaient des CDD et 1,6 % étaient apprentis. Ce tableau général ne correspond donc absolument pas à l’affirmation de M.B., même s’il est évident que le travail temporaire et le chômage exercent une forte pression globale sur ceux qui ont un emploi supposément garanti : fonctionnaires et titulaires de CDI dans le secteur privé. Et même si ces statistiques n’incluent pas le travail dit « clandestin », ce dernier ne touche que quelques centaines de milliers de personnes (le nombre de clandestins, y compris les chômeurs et les mineurs est estimé, par le gouvernement, à 400 000 en France). L’analyse de M.B. s’applique davantage aux plus jeunes salariés, entre 15 et 29 ans : 6,1 % travaillent en intérim, 18 % ont des CDD, 6,7 % sont apprentis et 68,5 % ont un CDI. Et cette fraction de la jeunesse salariée est numériquement plus importante et présente dans les zones les plus pauvres des banlieues ouvrières, que dans d’autres parties du territoire.
Bâtiments publics
En France la police possède 1 700 bâtiments : des commissariats (ouverts nuit et jour, 7 jours sur 7, seulement dans les villes de plus de 20 000 habitants), des permanences administratives (ouvertes seulement pendant la semaine et jusqu’à 18 heures), des garages, etc. Si nous accordons foi aux statistiques officielles (et Quadrelli ne nous en propose aucune autre), 300 bâtiments publics ont été attaqués (ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils ont été détruits) : centres d’impôts, ANPE, MJC, crèches, gymnases, casernes de pompiers, missions locales, mairies... et commissariats. Si 10 % des bâtiments appartenant à la police (170 sur 1 700, en imaginant un chiffre très optimiste...et évidemment faux) avaient été détruits, comment l’Etat français et toutes les forces politiques « blanches » auraient-ils pu réussir à le dissimuler ?
En dehors des 300 bâtiments publics qui ont été attaqués, 30 000 poubelles et 9 500 voitures privées ont été brûlées, 140 bus ont été endommagés ou brûlés, ainsi que 100 véhicules appartenant à la Poste ; 350 écoles et 51 postes ont également été endommagées. Pourquoi Sarkozy, à l’époque ministre de l’Intérieur, aurait-il dissimulé le nombre de voitures et de commissariats attaqués ou brûlés si ce chiffre avait été significatif ? Sa gestion de la crise de novembre 2005 n’a fait qu’augmenter sa popularité en 2006 et 2007 parmi les 5 millions d’électeurs du Front national. Il aurait été trop heureux de trouver la preuve de l’existence d’une « guérilla urbaine », si elle avait réellement existé, et il aurait reçu l’appui enthousiaste de tous les médias qui savent que seules les nouvelles dramatiques attirent l’attention des lecteurs et des téléspectateurs.
À ma connaissance, aucun commissariat central n’a été attaqué. Seules de petites permanences administratives vides (car fermées la nuit) ont subi quelques caillassages ou quelques cocktails Molotov. Et les affrontements directs avec la police (à l’exception des deux premiers jours à Clichy-sous-Bois et Montfermeil, comme lors des émeutes « habituelles » des années précédentes) ont été très rares pour deux raisons : les émeutiers étaient si peu nombreux qu’ils savaient qu’un combat rapproché avec les flics ne pouvait être que suicidaire, quant aux flics, ils avaient des consignes très strictes pour ne pas commettre de « bavures ». Sarkozy lui-même craignait que se répète un « accident » comme celui de Malik Oussekine, ce jeune étudiant sous dialyse tabassé par des flics en marge d’une manif en 1986 et qui mourut peu après. Contrairement aux affirmations de Quadrelli, les affrontements de novembre 2005 ressemblaient bien davantage au jeu du chat et de la souris qu’à des combats de « guérilla ». Signalons d’ailleurs que, en ce qui concerne l’utilisation d’armes à feu par les émeutiers, apparemment 10 CRS et deux policiers dans leur voiture ont subi quelques tirs, mais qu’aucun d’entre eux n’a été blessé. Destruction des voitures de flics
Les flics possèdent 1 996 véhicules destinés au « maintien de l’ordre », 15 454 « véhicules légers » et breaks et 3 897 « véhicules de service ». Soit un total de 21 348 véhicules. Le site « Cette Semaine » a avancé l’hypothèse que, à l’échelle nationale, pas plus de 90 véhicules privés n’auraient été détruits chaque jour (7). Dans la mesure où les émeutes ont duré 18 jours, cela concernerait donc 1 620 voitures. En comptant très large, et même si l’on ajoute à ces 1 620 voitures, les 140 véhicules de la Poste et autobus qui ont été soit endommagés soit brûlés, cela nous donne environ 1 860 véhicules. Donc si l’on soustrait ce chiffre de 1 860 aux 9 500 voitures brûlées, il nous reste encore 7 640 véhicules.
Si le site « Cette Semaine » avait raison (et Quadrelli et ses interlocuteurs défendent une position proche de la leur), cela signifierait que non seulement la plupart des 1 996 véhicules utilisés pour le maintien de l’ordre auraient été détruits mais aussi une fraction significative de ceux utilisés pour des missions de routine ou de service.
Comment le ministre de l’Intérieur, les différents syndicats de policiers et tous les médias auraient-ils réussi à cacher qu’au moins un quart, voire un tiers, du total du parc automobile de la Maison Poulaga aurait été détruit sans laisser la moindre trace ? Cela aurait supposé de dissimuler des milliers de factures, d’obliger tous les policiers, voire même les garagistes à se taire, et de dissimuler pendant deux ans une hausse considérable du budget destiné à remplacer les véhicules disparus.
Et même si l’on soustrait à ces 7 640 véhicules, disons 2 000 bagnoles de patrons, de cheffaillons et de fachos, miraculeusement détruits par les guérilleras qu’a interviewées Quadrelli ou par d’autres « émeutiers », comment aurait-on pu dissimuler pendant deux ans la destruction de 5 000 véhicules de police ? De plus, habituellement, les flics « travaillent » à l’intérieur ou près de leurs véhicules. Dans ces conditions, combien d’entre eux auraient été gravement blessés, voire seraient morts, si des milliers de voitures de police avaient été brûlées avec leurs occupants à l’intérieur ?
Le syndicat de droite Alliance (36 % aux élections professionnelles) a obtenu une prime « spéciale émeutes ». Peut-on imaginer que ce syndicat serait resté silencieux si des centaines de leurs collègues avaient été sérieusement blessés durant de telles attaques ? Le nombre de keufs blessés a doublé au cours des dix années précédant 2005 (il est passé de 2 200 à 4 400 par an), mais n’a pas connu une augmentation significative en 2005 à cause des émeutes (entre 139 et 195 poulets ont été blessés - les statistiques gouvernementales sont incohérentes à ce sujet). Toutes ces données de base ne coïncident pas avec le tableau apocalyptique dressé par Quadrelli.
Quadrelli et ses amis « guérilleros » semblent croire qu’un Grand Complot aurait été organisé pour cacher la vérité : « la censure initialement appliquée [contre ce document] a finalement dû être retirée », écrit Quadrelli. Il fait allusion à un rapport des Renseignements généraux, ce service dont les rapports sont souvent refilés en douce aux journalistes, notamment à cause des rivalités entre les différents services de police ou entre les différentes fractions gouvernementales. Il est ridicule de parler de « censure » à propos d’une service de police qui regroupe des gens de diverses sensibilités politiques, de Sud à l’extrême droite, ce qui constitue un facteur supplémentaire de fuites en direction de la presse. Sans compter le fait de travailler régulièrement au contact de telle ou telle force politique finit sans doute par influencer leur jugement. Et pour en finir avec le mythe de la lucidité des RG, il suffit de noter qu’ils ont été incapables de déceler le moindre signe annonciateur des émeutes de 2005 !
Mais revenons à notre théoricien des complots. Quadrelli écrit : « une grande part de la vérité sur les origines des conflagrations françaises a été, d’une façon fort opportune, cachée au moment où elles sont apparues » ; « dans une grande mesure, les médias ignoraient la vérité » ; « beaucoup d’intellectuels ignoraient la vérité » ; « en quelque sorte ils ont tous fini par endosser la version de la vérité diffusée par le pouvoir », etc. Ce type de discours aurait un sens si Internet n’avait pas existé en 2005 et si les émeutes s’étaient produites dans une jungle ou une montagne isolée dans un coin inaccessible de la planète. Si l’on tient compte de la situation française et des possibilités d’accès illimité des « guérilleras noires » à toutes sortes de médias alternatifs, on ne peut qu’être sceptique devant de telles affirmations péremptoires. Une seule raison pourrait expliquer leur silence : leur sécurité. Mais, dans ce cas, le fait de se dévoiler deux ans plus tard n’est-il pas aussi dangereux pour elles ? À moins qu’elles se soient depuis réfugiées dans la forêt lacandone ou la jungle birmane...
Comme l’écrit Wil Barnes, « Quadrelli défend une thèse qui est la suivante : les luttes de la jeunesse “noire”, spécialement celle des banlieues, ont détrôné la vieille lutte des classes, qui n’est plus pertinente. Et cette nouvelle réalité façonne ses intuitions, ses perceptions et sa compréhension. Il est donc logique qu’à ses yeux seule l’existence d’une conspiration explique la non-reconnaissance par autrui de cette nouvelle réalité » (imaginaire, ajouterons-nous).
3) Selon Quadrelli : « Ce qui s’est passé l’automne dernier dans les banlieues françaises a été rapidement écarté comme un événement apolitique » ; « l’organisation du travail, le modèle de gestion du gouvernement et de l’armée industrielle de réserve étaient les cibles de la révolte »
Chacun se souvient de l’article écrit par l’historienne Françoise Blum le 10 novembre 2005 dans Le Monde, article cité et reproduit dans de nombreux livres et repris fréquemment sur Internet. Et dans tous les livres collectifs et les conférences organisées depuis novembre 2005, les spécialistes des sciences sociales ont souligné la dimension politique des émeutes. Bien sûr, ils ne partageaient pas le point de vue spécifique de Quadrelli fondé sur le témoignage de ses « guérilleras noires ». Néanmoins, ils n’ont pas ignoré la dimension politique des actes des émeutiers. Beaucoup de ces auteurs réformistes ont souligné que la jeunesse des banlieues croyait au message « égalitaire » républicain. Ils ont expliqué que si les émeutiers brûlaient les symboles de l’Etat ou attaquaient ses représentants, c’était parce qu’ils voulaient que l’Etat joue son « rôle égalitaire et démocratique », et pas parce qu’ils voulaient le détruire ou le renverser, comme le croient les « guérilleras » interviewées par Quadrelli.
Cela n’empêche pas cependant, comme l’écrit Wil Barnes, de toujours garder à l’esprit que « leurs actions exprimaient une formidable colère, un intense désir de détruire le monde, ce monde qu’ils tiennent pour responsable de leur situation désespérée ». Mais il faut être sacrément naïf pour croire que cette révolte peut donner quoi que ce soit, sans une réflexion politique approfondie de la part des « émeutiers » eux-mêmes. Les sociologues ont écrit que, même si l’on n’a pas vu apparaître des formes d’organisation et d’expression traditionnelles (tracts, dirigeants, comités, etc.), les revendications étaient implicites dans les cibles choisies par les émeutiers. Et le fait que de nombreux émeutiers aient brandi leur carte d’identité face aux caméras de télévision fut interprété par nos intellos de gauche comme un signe que les émeutiers étaient porteurs d’une sorte de conscience politique républicaine : ils voulaient être respectés en tant que « citoyens » et bénéficier de tous les droits liés à ce statut..
Dans une certaine mesure, cette analyse fut confirmée deux ans plus tard par le taux de participation très important durant les élections présidentielles (87 %), et les votes majoritaires pour la candidate du PS dans les quartiers ouvriers, et d’une autre façon par les petites manifestations de colère et de déception d’une minorité de la jeunesse la nuit du second tour et la semaine suivante.
Evidemment, l’explication citoyenniste des sociologues est très critiquable (cf. « Citoyennisme ? Attraction fatale ! », sur le site mondialisme.org) mais on ne peut se contenter d’ignorer son existence, lorsque l’on prétend que les émeutes de 2005 auraient été seulement considérées par la gauche et l’extrême gauche comme apolitiques. Il suffit par exemple de lire l’article de Marwan Mohammed « Les voies de la colère : “violences urbaines” ou révolte d’ordre “politique” ? L’exemple des Hautes-Noues à Villiers-sur-Marne » sur le site http://socio-logos.revues.org/document352.html pour constater que Quadrelli s’attribue une perspicacité absolument démesurée...
4) « En comparaison, Mai 68 apparaîtra comme une polissonnerie inventée par des étudiants un peu trop exubérants. Pendant plus de 20 jours, aucune banlieue française n’a pu dormir tranquille » en novembre 2005, écrit Quadrelli qui semble croire que les dernières « émeutes » étaient plus importantes, d’un point de vue politique et social, que Mai 68.
Une telle affirmation absurde est, quelque part, indispensable pour notre anthropologue puisqu’il rejette la « vieille » notion de lutte des classes et cherche à la remplacer par une interprétation plus « branchée » des conflits sociaux. De quoi s’agit-il exactement ? D’un mélange entre, d’un côté, la « théorie » de la Multitude inventée par le stalinien (8) Negri, et, de l’autre, celle des minorités « post-coloniales » vivant au sein des sociétés occidentales « blanches » (démarche qui rappelle furieusement celle des Indigènes de la République). Et pour épicer cette soupe idéologique, l’auteur nous balance une pincée de Foucault et reproduit sans les critiquer les références élogieuses de ses interlocuteurs aux guérillas nationalistes du tiers monde. Mai 68 a mobilisé 10 millions de grévistes, même si une bonne part d’entre eux sont restés chez eux et n’ont pas été très actifs politiquement (dans le sens que tous - loin de là - n’occupaient pas les usines - contrairement à juin 1936 -, n’allaient pas aux manifestations ni ne participaient aux comités d’action, etc.) Novembre 2005 a mobilisé autour de 15 000 personnes. (4 700 personnes, authentiques émeutiers ou pas, ont été arrêtées, la moitié d’entre elles après les émeutes, et apparemment il y avait très peu de jeunes filles parmi eux.) En novembre 2005, seuls 25 départements français sur 96 ont été touchés par les « émeutes ». Il est compréhensible qu’aujourd’hui de jeunes révolutionnaires en aient ras-le-pompon de la mythologie soixantuitarde et veuillent gagner leurs propres titres de gloire. Et ils ont de bonnes raisons d’être en rogne (cf. « De Mai 1968 à Mars-Avril-Mai 2006 » Ni patrie ni frontières n° 16-17, et site mondialisme.org). Mais construire de nouveaux mythes bancals pour remplacer les anciens ne servira pas à changer la réalité.
Comme les camarades de Mouvement communiste l’ont écrit : « (...) il est évident que l’avantage militaire est resté aux forces de répression. Les manifestants ont rapidement évité les affrontements directs avec celles-ci, ayant opté pour la multiplication d’actes isolés, menés par des groupes réduits en nombre, contre des biens privées et publics. Parallèlement, les forces de répression ont réduit au strict minimum les occasions de contacts directs et rapprochés afin d’éviter des bavures. (...) Les forces de répression se sont en revanche concentrées sur la multiplication de rafles à froid, préventives et sélectives. » (Lettre de Mouvement communiste n° 19, sur le site mouvement-communiste.com/)
5) Selon Z. : « nous avons eu affaire à quelques tentatives des fascistes de construire leurs propres groupes de guérilla pour la contre-insurrection dans les banlieues » ; « des groupes de droite liés à Le Pen, qui ont une certaine implantation dans la banlieue et qui peuvent compter sur un soutien et une protection considérable de la part des Brigades anticriminalité. Le lien entre les groupes nazis et les BAC est très étroit et dans une certaine mesure ils ne font qu’un » ; « nos forces militantes (...) ont détruit, à travers une série d’actions ciblées, toutes les bases ou en tout cas une grande partie de celles que les paramilitaires préparaient dans les banlieues ». Et dans une note, Quadrelli ajoute : « À Sens, par exemple, où les CRS sont basés, l’hymne adopté pour les nouvelles recrues était celui de la Division SS Charlemagne, ces volontaires français qui combattaient aux côtés des nazis. On ajoutera à tout cela le fait que le syndicat d’extrême droite PPIP (sic !) était hégémonique au sein des forces de sécurité, ce qui obligea les magistrats à le dissoudre parce qu’il appelait ouvertement à la haine raciale ». Malheureusement, la plupart des informations de notre distingué anthropologue sont, à notre connaissance, inexactes. Il n’y a pas de syndicat qui s’appelle PPIP. Il existe un syndicat d’extrême droite (la FPIP), mais il n’a pas été dissous. Il a été infiltré par le Front national au début des années 1990, ce qui a d’ailleurs provoqué une enquête parlementaire dont on peut consulter les travaux sur le Net. La FPIP n’a jamais été « hégémonique » à l’échelle nationale (cf. les chiffres plus loin), à moins que Quadrelli ait voulu dire hégémonique à Sens seulement ? Mais Sens ne représente qu’une seule ville en France et il existe 61 compagnies de CRS.
En ce qui concerne la chanson de la Division Charlemagne, on trouve sur le Net une autre version qui, dans un certain sens, est à la fois plus plausible et bien pire ; si l’on compare l’hymne de la Division Charlemagne et le texte d’une des chansons des CRS, il existe des similitudes inquiétantes. C’est peut-être l’origine de l’anecdote rapportée à Quadrelli. Mais, de toute façon, cela n’a rien à voir avec l’infiltration des fascistes dans les forces de police, et tout à voir avec l’idéologie nationaliste française, ce qui est un enjeu bien plus inquiétant.
Le fait que, dans certaines banlieues, des fascistes, des nazis ou des militants du Front national infiltrent ou coopèrent, selon Z. avec les Brigades anticriminalité ne peut être projeté à l’échelle nationale - à moins de fournir des preuves sérieuses à l’appui de cette thèse. Tout d’abord, les groupes vraiment fascistes sont ultraminoritaires en France. Certes, il existe des fascistes au sein du Front national, mais, au sens strict, le FN n’est pas un parti fasciste, qui disposerait de milices paramilitaires et voudrait renverser l’Etat. Quant à la capacité de recruter des hommes de main dans le Milieu, la très respectable UMP est certainement plus capable de le faire d’une manière rapide et efficace que Le Pen. Le Front national n’est qu’une coalition hétérogène de factions (des nostalgiques de l’Algérie française aux catholiques intégristes), unies par le culte d’un chef désormais contesté et vieillissant ; quant aux jeunes néo-nazis et athées, beaucoup sont partis avec Mégret et son groupusculaire MNR. De plus, il y a fort à parier que si le FN a (malheureusement) un avenir politique un jour, ce sera en imitant l’exemple d’Alianza nazionale en Italie (où les fascistes du MSI ont refusé de suivre Fini qui leur proposait de transformer le nom et la ligne du Parti et ont préféré créer d’autres partis fascistes « authentiques ») plutôt qu’en tentant de construire une force antiparlementaire « fasciste-révolutionnaire ». Enfin, les forces de répression traditionnelles représentent un danger beaucoup plus grave en France que les minuscules groupes fascistes.
Quadrelli et Z. devraient savoir que le rôle des polices parallèles a toujours été plus important que celui des groupes fascistes pendant les cinquante dernières années. Ces polices parallèles recrutaient d’anciens membres de la police et de l’armée, des individus travaillant en « free-lance » pour les services secrets, des mercenaires, des hommes de main du Milieu, etc. Les cadres de l’Organisation Armée Secrète, qui a certainement été la force réactionnaire la plus dangereuse après la Seconde Guerre mondiale, n’étaient pas principalement des ex-fascistes mais d’anciens membres des réseaux gaullistes, voire socialistes, de la Résistance antinazie...
Les deux syndicats proches de l’extrême droite, la FPIP (Fédération professionnelle indépendante de la police) et Action Police CFTC ont respectivement obtenu 4,73% et 1,40% des voix lors des dernières élections syndicales. (Il y a douze ans, l’extrême droite représentée par la FPIP et le Front national police - dissous depuis - avaient reçu 13,24 % des voix en 1995 parmi les 87 000 flics de base et leurs sergents ; et à la même époque l’extrême droite avait obtenu la majorité des voix dans 2 des 61 compagnies de CRS). Aujourd’hui, le syndicat UNSA Police (qui organise à la fois les gardiens de la paix et les CRS) recueille 41 % des voix et ce syndicat est proche du PS... et non de fascistes imaginaires. Quant à Action Police CFTC, elle a été exclue de ce syndicat et n’existe plus. De toute façon elle ne regroupait que 150 cotisants même si elle prétendait avoir des milliers de sympathisants !
6) « En réalité, plutôt que d’arrêter les coupables, ils ont expulsé des milliers de gens », a déclaré J.B. à Quadrelli. 100 étrangers ont été arrêtés, 10 procédures d’expulsion ont été lancées et TROIS personnes ont finalement été expulsées. La plupart des 4 500 « émeutiers » arrêtés étaient titulaires d’une carte d’identité française, même si leurs parents étaient africains ou maghrébins. Parmi les rares études réalisées après les arrestations, on peut citer celle concernant la Seine-Saint-Denis : 36 % des interpellés étaient Franco-Français, 35 % Franco-Maghrébins et 29 % Franco-Africains. Donc, même si Sarkozy annonça en 2005 qu’il allait expulser tous les étrangers arrêtés, il n’en a pas trouvé beaucoup à expulser (trois et non des « milliers » !!!) et il a découvert de toute façon qu’il ne pouvait pas prendre cette mesure pour des raisons juridiques. (Remarquons au passage que ce n’est pas très malin de s’être autant avancé sur le terrain juridique, du moins pour un type qui est avocat de formation et de profession ! Ou alors il ne s’agissait que d’une rodomontade lancée en direction des électeurs du FN. Auquel cas, cela a été très efficace deux ans plus tard.)
Bien qu’il faille prendre leurs statistiques avec une grande méfiance, les Renseignements généraux ont estimé que, parmi les 436 chefs d’émeutiers qu’ils avaient repérés, 87 % avaient la nationalité française. Et parmi ceux-ci 67 % avaient des parents maghrébins, 17 % des parents africains et 9 % des parents franco-français. Même les services de Sarkozy ont dû reconnaître que la part des « étrangers » dans les émeutes était secondaire.
7) « Le banlieusard qui pouvait incarner toute la banlieue devint un objet de culte », du moins pendant un certain temps, déclare G.Z.
Sa critique de la manipulation des individus carriéristes « issus de l’immigration » (selon l’une des expressions politiquement correctes en vogue qui tend désormais à être remplacée par « issus de la diversité ») vise juste. Mais G.Z. prétend qu’aujourd’hui nous serions dans la situation inverse : « le banlieusard n’incarne plus le peuple, aujourd’hui le mythe est celui du casseur, de la brute, du type exécrable, invisible, pré-moderne, pré-social, marginal, pré-global, ou que sais-je d’autre ».
G.Z. ne regarde probablement pas souvent la télévision, qui est le principal outil de lavage de cerveaux actuellement. S’il allumait son poste, il se rendrait compte que les chaînes publiques et même les principaux partis politiques essaient de faire exactement le contraire, du moins à l’échelle locale. Ils mettent en avant l’exemple de petits entrepreneurs et d’associations locales qui se démènent en banlieue, de Franco-Africains ou de Franco-Maghrébins qui sont considérés comme des exemples par leurs voisins, etc.
8) Les « banlieues » et les « banlieusards » sont faussement présentés comme socialement ou « racialement » homogènes. Quadrelli et ses guérilleras n’expriment pas cette idée de façon aussi abrupte, mais elle est implicite dans le titre, les interviews et l’article, dans des expressions comme « les femmes de banlieue, les habitants de banlieue, les quartiers noirs », etc. Les banlieues sont apparues à l’extérieur des grandes villes françaises. Elles couvrent 7 % du territoire national et abritent 21 millions de personnes, soit presque un tiers de la population totale. Parmi ces 21 millions, 4,5 millions vivent dans une situation très précaire (avec moins de 640 euros par mois et par personne).
Si l’on veut présenter un tableau ultrasimplifié de la situation, les « banlieues » se divisent en deux catégories : celles qui abritent des pavillons et celles qui accueillent des logements sociaux (4 millions de logements sont financés par l’aide de l’Etat ou des régions). Mais, en réalité, la situation est beaucoup plus complexe : « villes nouvelles » accueillant généralement des professions libérales, des petits bourgeois salariés et des ouvriers qualifiés ; vieilles zones industrielles en crise ; nouvelles zones high tech ou de bureaux, etc., se trouvent aussi en « banlieue ».
Certaines banlieues sont 100 % bourgeoises, d’autres abritent toutes les nuances des classes moyennes, d’autres mélangent petits bourgeois et ouvriers.
À l’intérieur des banlieues à majorité ouvrière (plus ou moins les ZUS qui abritent 4,5 millions d’habitants), on assiste à des mélanges sociaux complexes au sein d’un même territoire : de petits pavillons ouvriers, des petits immeubles pour les employés ou les profs, de vieilles tours en ruine qui « accueillent » les migrants récents, des tours plus récentes abritant ceux qui ont des boulots plus stables (« Blancs » et « non-Blancs », cols bleus et cols blancs).
C’est pourquoi une émeute peut se produire à 500 mètres d’une zone pavillonnaire. Ou à 1 km d’un bâtiment bien entretenu ou d’une tour avec des logements sociaux.
Si l’on prend la théorie de la guérilla urbaine au sérieux, alors il est important d’étudier et de bien connaître le territoire où l’on va agir. « Le guérillero urbain doit se renseigner minutieusement et bien connaître les quartiers dans lesquels il vit, il opère ou qu’il traverse », écrit Marighella (3). L’article, les notes, les références et les interviews de Quadrelli ne nous fournissent aucune analyse détaillée du territoire des banlieues françaises, uniquement des affirmations impressionnistes et vagues.
9) Selon Quadrelli : « il n’est pas indifférent, de ce point de vue, qu’un climat de relative paix sociale ait marqué la révolte à Marseille, la ville française où le crime organisé semble détenir un pouvoir considérable ». En d’autres termes, Marseille n’aurait pas bougé parce qu’elle serait contrôlée par la Mafia ! L’auteur aurait dû, avant d’écrire ces lignes, regarder une carte de la ville, contacter quelques militants locaux et leur demander où se trouvaient les quartiers populaires et ouvriers.
S’il s’était renseigné un peu, il aurait constaté que « les emplois dans le secteur de l’animation urbaine à Marseille ont augmenté de 661 % en moins de vingt ans », que ces emplois concernent essentiellement des jeunes de 17 à 25 ans et que « la zone franche qui s’étend au pied des cités entre les 15e et 16e arrondissements a, depuis 1997, attiré près de 2 000 entreprises et créé 10 600 emplois. Plus d’un tiers des salariés ont été embauchés dans les quartiers alentour » (Michel Samson, Le Monde du 14/12/2005). Ces deux facteurs (l’importance et la nature de l’encadrement municipal et associatif à Marseille par rapport à la région parisienne ; et l’embauche d’un nombre significatif de jeunes des quartiers dans la zone franche) n’expliquent bien sûr pas tout, et l’on peut avancer aussi d’autres hypothèses. En général, les banlieues qui « jouissent » d’un accès plus ou moins correct au centre-ville (avec des bus, des trains ou des tramways pas trop clairsemés), ont connu beaucoup moins d’émeutes que ceux comprenant les cités les plus isolées : Clichy-sous-Bois est un exemple « parfait » de ségrégation sociale et spatiale. Une statistique un peu ancienne mais révélatrice illustre le problème : en 1990, sur les 500 quartiers jugés « difficiles » (il en existe désormais 718 en France métropolitaine), 13 % étaient traversés et 32 % longés par une autoroute, 83 % étaient bordés par une voie express, 70 % longeaient une voie ferrée mais seulement 40 % se trouvaient à proximité d’une gare.
Par conséquent c’est parce que 1,5 millions de « pauvres » (sur les 6 millions à l’échelle nationale) vivent dans les centres-villes et pas dans les banlieues, que Marseille, comme d’autres villes abritant des quartiers ouvriers près du centre ou à l’intérieur de leurs murs, a connu moins d’émeutes - et non à cause du pouvoir tout-puissant de la Mafia locale !
Un autre élément intervient dans l’intensité inégale des émeutes : parfois la différence entre un émeutier de base et un ouvrier « normal » est très subtile. Les ouvriers les plus mal payés (par exemple ceux qui volent des marchandises dans le secteur logistique et qui les revendent pour arrondir leurs fins de mois) peuvent être à la fois des travailleurs et de petits trafiquants. On notera aussi que des quartiers comme Mantes-la-Jolie (où eurent lieu les émeutes de 1991) et Vaulx-en-Velin (qui a connu des émeutes locales importantes en 1979 et en 1990) ont peu participé aux événements de novembre 2005. Pour expliquer la distribution inégale des émeutes sur le territoire français, il faudrait se livrer à une réflexion approfondie et à de solides enquêtes, et non se contenter de généralités approximatives. Pour en terminer avec la question de la localisation des émeutes, notons qu’il n’existe pas de lien direct entre de mauvaises conditions de logement et les « émeutes » : parmi les 146 000 personnes qui vivent dans des caravanes, les 200 000 qui vivent dans les rues (et dorment parfois dans des asiles de nuit), et 550 000 qui vivent dans des hôtels minables ou des chambres délabrées, donc parmi les 900 000 personnes qui subissent les pires conditions de « logement », la majorité d’entre elles ne vivent pas à proximité des cités des banlieues qui ont explosé en novembre 2005.
10) Selon M.B., « les mouvements de gauche (...) ne veulent pas être contaminés par les jeunes banlieusards, ils font tout ce qu’ils peuvent pour les tenir à distance et dans certains cas ils ont collaboré avec la police pour les empêcher d’agir au centre de Paris ». Quant à M.T., il déclare : « Les banlieusards ont attaqué les étudiants des universités, les ont tabassés et dévalisés. » M.B., M.T. et sans doute Quadrelli lui-même mélangent (délibérément ?) différents événements, diverses périodes et différentes questions politiques. Tout d’abord, ils mélangent ce qui s’est passé en novembre 2005 (où il n’y a eu aucun conflit entre émeutiers et étudiants dans aucun endroit du territoire) avec ce qui s’est passé entre mars et mai 2006, et, de surcroît, à Paris seulement.
Durant le mouvement contre le CPE de 2006, des dizaines de milliers de lycéens, de collégiens et d’étudiants ont manifesté à l’intérieur des manifestations. Quelques centaines de jeunes gens, généralement des adolescents, sont intervenus à l’extérieur des manifs. Selon des observations faites par des camarades dans quatre manifestations parisiennes, ils étaient organisés en groupes rassemblant de 8-12 à 30 personnes. Le « jeu », pour eux, consistait à repérer un individu isolé (de préférence une adolescente ou un jeune à lunettes, pas très baraqué), sur les marges des manifestations. Si cet ado avait un portable à la main, un appareil photo ou une chouette veste, ils le jetaient à terre (grâce à la technique dite de « la balayette »), lui dérobaient très rapidement ce qui les intéressait, le tabassaient souvent violemment et partaient ensuite en courant. Ces jeunes avaient pour la plupart entre 14 et 18 ans, avec parfois un chef plus âgé, genre 25 ans. Ils n’ont JAMAIS affronté les manifestants, sauf le 23 mars 2006, sur la place des Invalides, où, à la fin de la manifestation, quelques groupes de sympathisants de la CNT ont finalement décidé de réagir contre ces agressions menées contre des individus isolés. Mais il est évident que la CNT n’a remis personne aux flics. L’une des raisons pour lesquelles les groupes révolutionnaires hésitaient à intervenir contre les agresseurs étaient que ceux-ci étaient généralement « noirs », d’après les concepts ethnicistes de Quadrelli, et qu’ils craignaient d’être traités de racistes s’ils agissaient contre eux.
Il est arrivé, d’autre part, que des membres des syndicats de policiers ou bien du SO de la CGT interviennent non seulement pour empêcher ces actions de racket, mais pour remettre leurs auteurs aux flics. (A ce propos, un camarade de la CNT-AIT fait remarquer, sur le site Noir et Rouge, que le SO de la CGT se serait livré à des agressions en quelque sorte "préventives" (pour reprendre le vocabulaire policier particulièrement bien adapté en cette circonstance) à caractère raciste contre les jeunes à capuche d’origine africaine qui se promenaient en petits groupes sur les côtés des manifs anti-CPE. Il est difficile de faire la part du racisme, de la haine des jeunes et de la haine des "casseurs" dans ce type d’intervention, mais c’est effectivement fort probable.) Certains syndicats ont publiquement affirmé avoir collaboré avec la police, mais cela n’a pas eu d’effet significatif, étant donné la rapidité et l’organisation des groupes très mobiles qui attaquaient des individus isolés sur les côtés des manifestations. Donc, dans les citations ci-dessus de M.T. et M.B., l’usage des mots « gauche », « banlieusards » et « étudiants » est parfaitement trompeur et mystificateur.
11) Durant la lutte contre le CPE, les « banlieusards » étaient opposés aux étudiants universitaires, pense M.B. : « Les jeunes appartenant aux mouvements de gauche sont surtout des étudiants, tandis que les autres sont des travailleurs, des voleurs, des délinquants et, il n’y a aucune raison de le cacher, des petits trafiquants de drogue ».
Mélanger la question générale de la composition sociale de la jeunesse d’extrême gauche ou libertaire avec les problèmes spécifiques qui se sont produits durant le mouvement anti-CPE ne facilite pas la compréhension, y compris des émeutes de novembre qui s’étaient produites plusieurs mois auparavant. La composition sociale des étudiants aujourd’hui est très différente de celle des années 60. La moitié des étudiants travaillent à mi-temps, avec des CDD, etc. Dans les universités situées dans les banlieues, on trouve une proportion plus élevée de fils d’ouvriers et d’employés qu’à Paris intra muros. À l’échelle nationale, les ouvriers et les employés représentent 60 % de la population active et leurs enfants ne représentent que 22 % des étudiants, c’est-à-dire une minorité significative. Après la quatrième année, ce pourcentage tombe à 12 % et diminue encore davantage pour ceux qui arrivent à passer un doctorat ou l’agrégation. La situation est donc plus complexe que le tableau simpliste présenté par Quadrelli et ses interlocuteurs. Par contre, il est exact qu’il existe une différence importante (et ce, qu’elles que soient leur origine nationale ou leur couleur de peau) entre ceux qui ont arrêté d’étudier à 16 ans, ceux qui sont au chômage (titulaires d’un bac ou d’un diplôme universitaire), d’un côté, et, de l’autre, ceux qui étudient encore au lycée ou à la faculté. Leur réalité et leurs espérances quotidiennes sont très différentes, même si, dans la classe ouvrière, on peut trouver des représentants des trois groupes ci-dessus dans la même famille. L’exemple classique étant la sœur qui réussit ses études et le frère chômeur ou en échec scolaire. Mais présenter ces contradictions, bien réelles, comme une opposition de classe entre, d’un côté, des « Noirs » pauvres des banlieues et, de l’autre, des étudiants « blancs » parisiens des classes moyennes est à la fois factuellement erroné et politiquement absurde.
En ce qui concerne le caractère majoritairement « petit bourgeois » de la « jeunesse d’extrême gauche », l’argument est déjà un peu moins fantaisiste, mais il demanderait à être étayé et discuté. Spécialement quand ceux qui balancent ces jugements définitifs appartiennent au même milieu social que ceux qu’ils dénoncent violemment.
12) « Les banlieusards posent un problème exactement opposé à celui posé par la jeunesse des classes moyennes », prétend M.T. Tout dépend ce que l’on appelle les « classes moyennes » (si l’on y inclut ou non les employés, les professeurs, les ingénieurs, les travailleurs sociaux, etc.) et ce que l’on appelle les « lycées ». Si l’on considère les lycées professionels, l’affirmation de M.T. est inexacte. Tout comme si l’on prend en compte que, parmi les 500 000 jeunes qui ont eu le baccalauréat l’année dernière, 35 % étaient des fils d’employés ou d’ouvriers.
Bien sûr, la sélection sociale est sans pitié mais elle a été retardée dans le temps, si l’on observe l’évolution à long terme enclenchée depuis les années 60. Comme cette sélection n’est pas aussi évidente qu’il y a quarante ans, elle peut nourrir de profondes frustrations sociales et un bas niveau d’estime de soi, pour ceux qui ne voient pas, ou ne comprennent pas, comment le système fonctionne. Mais, en même temps, le système scolaire (y compris l’université) reste le seul moyen de grimper un peu dans l’échelle sociale. Pour compléter le tableau, signalons que 100 000 jeunes quittent le système scolaire chaque année à l’âge de 16 ans et sans aucun diplôme. Parmi ces 100 000 adolescents, 30 % sont des fils d’ouvriers, une autre forme de sélection sociale cachée qui s’opère à travers le système scolaire. Les enfants de la classe ouvrière abandonnent plus souvent leurs études avant le bac, ils obtiennent leur bac à un âge plus avancé et ils hésitent davantage à entrer à la fac, même s’ils ont le bac, que les enfants des « classes moyennes ». C’est maintenant à l’intérieur du système universitaire lui-même que la sélection sociale se déchaîne, même dans les Instituts universitaires de technologie, qui offrent un cursus de deux ans et comprennent 50 % d’enfants de la classe ouvrière.
13) « Pour eux [les banlieusards], les lycéens et les étudiants sont encore pire que les flics », déclare M.T.
Cette affirmation est absurde et réactionnaire. Bien sûr, on pourra toujours trouver des gens qui tiennent ce genre de propos. Mais affirmer que, dans les familles ouvrières, tous les jeunes haïssent leurs voisins ou les membres de leur famille qui étudient au lycée ou à la fac est absurde. Légitimer politiquement cette manière de penser contribue à répandre une idéologie réactionnaire. Une démarche nationaliste fondée sur la race et la couleur de peau est réactionnaire - et même triplement réactionnaire quand on sait que ce genre de discours est tenu par M.T., une « Blanche », selon Quadrelli, qui a fait des études supérieures pour devenir travailleuse sociale...et donc appartenir à la « classe moyenne » qu’elle honnit ! Ce type de raisonnement renforce le discours de la classe dominante : la connaissance n’est pas importante pour vous, seule une élite peut réussir à étudier et comprendre ce monde, acceptez donc d’être des esclaves salariés. Et M.T. va encore plus loin puisqu’elle explique que les « banlieusards » éprouvent, d’une certaine façon, plus d’empathie pour les flics, qui font le sale boulot, que pour les étudiants qui, selon elle, « profiteraient » de l’existence des policiers. Les fascistes ont toujours su habilement exploiter le ressentiment anti-intellectuel et soutenir l’ « énergie vitale » masculine du peuple, qu’ils opposent au manque de virilité des « intellectuels ». Il est donc lamentable de voir un anthropologue radical entériner en silence ce genre de propos réactionnaire.
14) Selon M.T. : « 68 est mort et enterré depuis longtemps et au sein du monde étudiant il n’existe plus de liens communs. Il n’y a plus de culture, de philosophie politique ou d’idéologie qui rassemble les étudiants : en pratique, ils ne font que reproduire les différenciations sociales dans lesquelles ils sont plongés. Si, à une époque, être étudiant signifiait placer les individus dans une zone sociale suspendue où la condition étudiante était un facteur d’unification, aujourd’hui et depuis longtemps ce n’est plus vrai. » Il existe certainement un fossé politique entre ceux qui ont commencé à militer dans les années 80 ou après, et ceux qui ont commencé dans les années 50 et 60. La nostalgie que semble éprouver M.T. pour une culture étudiante commune ayant un potentiel radical repose soit sur un mythe soit sur un manque d’information. Jusqu’à la guerre d’Algérie le mouvement étudiant français était politiquement très modéré, et l’UNEF (qui tombera plus tard entre les mains de gens plus à « gauche ») coopérait sans problème à la reproduction du système... comme elle le fit par la suite d’ailleurs, mais sous une autre forme. La rhétorique « marxiste » des intellectuels des années 60, et des groupes maoïstes et trotskystes, dominait bruyamment les milieux de gauche, spécialement dans les universités, et plus tard dans les lycées. Mais il n’existait pas une culture étudiante de masse au contenu radical ou révolutionnaire (un tel phénomène aurait d’ailleurs posé un problème grave au Capital dans n’importe quel pays). À l’époque (un peu avant 1968 et la décennie qui suivit), la majorité du milieu étudiant était politiquement neutre, avec parfois une petite curiosité pour les idées « contestataires », et seule une minorité éprouvait de fortes sympathies pour l’extrême gauche et les libertaires.
Les rapports de force politiques au sein de la jeunesse étudiante sont aujourd’hui différents : il existe toujours des groupes d’extrême droite, comme dans les années 60 ; mais la majorité des étudiants, de droite ou de gauche, sont plus modérés voire conservateurs (on en a eu une bonne illustration d’ailleurs durant le mouvement contre le CPE où des AG de grévistes voulaient parfois faire voter... les non-grévistes présents !) : ils veulent avoir un boulot le plus vite possible, parce que leurs parents ont fait des sacrifices pour payer leurs études, phénomène qui n’existait pas dans les années 60 (à part pour quelques boursiers) quand les universités n’étaient ouvertes qu’aux couches supérieures de la petite bourgeoisie, à la moyenne bourgeoisie et à la grande bourgeoisie. Et aujourd’hui les étudiants « révolutionnaires » constituent une infime minorité que personne n’écoute, excepté durant les mouvements étudiants où leur audience s’accroît un petit peu tout en restant extrêmement marginale.
Il est plutôt curieux que des « radicaux » du XXIe siècle regrettent la culture bourgeoise de la jeunesse étudiante élitiste des années 60. Deux statistiques suffiront pour illustrer le changement qui s’est produit depuis 40 ans. En 1960, la France avait 50 millions d’habitants et 220 000 étudiants ; aujourd’hui il y 2,5 millions d’étudiants pour 67 millions d’habitants.
15) « Les trois couleurs Black-Blanc-Beur », écrit Quadrelli. « Beur » ne fait absolument pas référence à une couleur de peau, mais est le mot verlan pour « Arabe ». Quant aux « Arabes » (concept vague et qui englobe, pour ceux qui l’utilisent sans en connaître le sens précis, aussi les Turcs, les Iraniens et les Berbères qui ne sont pas Arabes !) ils sont loin de se considérer comme des « Noirs », étant donné l’importance historique du commerce d’esclaves africains et les préjugés raciaux contre les Africains qui existent dans les pays arabo-musulmans. Enfin, en français, le mot de « Blacks » est extrêmement suspect. On peut se demander s’il n’a pas connu une telle vogue justement parce que la gauche multiculturaliste « blanche » française avait peur de nommer ouvertement la couleur « noire », et était dans le même temps politiquement et intellectuellement incapable de dépasser de pseudo-identités dermiques... ou « dermocentrées » pour parler le charabia universitaire ? On se rappellera à ce propos le slogan particulièrement absurde de « République métissée », inventé par SOS-Racisme. Absurde car la notion de République (du moins selon la tradition de la Révolution française) est absolument incompatible avec la notion de « races ».
Les termes de « Blacks, Blancs, Beurs » ont été lancés par la gauche réformiste antiraciste, les chanteurs de rap, les journalistes de la télévision et de la radio, etc. Pourquoi devrions-nous leur accorder le moindre crédit et les utiliser comme une arme de la critique sociale ?
16) « (...) comme cela semble évident même pour un observateur superficiel, l’élection présidentielle française se fera dans une grande mesure autour du thème de la banlieue » ; « Nicolas Sarkozy, pour la droite, et Ségolène Royal, pour la gauche, considèrent la ”question des banlieues” comme le nœud central de leurs projets gouvernementaux, comme on peut s’en rendre compte en jetant un coup d’œil rapide à la façon dont les médias rendent compte de leurs programmes électoraux », écrit Quadrelli.
Si la droite et la gauche ont certainement déployé davantage d’efforts pour gagner des voix dans les quartiers ouvriers que durant les campagnes présidentielles précédentes (Sarkozy prétendait visiter une usine par jour !), les émeutes de novembre et la situation des banlieues (qui continue à se détériorer) n’ont pas été évoqués dans la propagande de la gauche et de la droite. Il y a eu une sorte d’accord implicite entre les grands partis pour ne pas jeter de l’huile sur le feu, donc pour éviter la question des émeutes et des quartiers les plus pauvres. Les mots les plus utilisés étaient des termes comme « douleur, souffrances, difficultés, petites retraites, les gens qui souffrent », etc. Etant de bons chrétiens, les trois principaux candidats (Bayrou, Royal et Sarkozy) n’ont eu aucune difficulté à utiliser un langage de dames de charité et à ne toucher à aucune question sociale brûlante. Si Bayrou et Royal se sont personnellement rendu dans des banlieues « difficiles », Sarkozy n’a pas pu parader dans les rues et les marchés des quartiers populaires, comme l’ont fait, parfois, ses concurrents.
17) Quadrelli, dans une note, souligne « la force de la présence de la guerre d’Algérie au niveau imaginaire, au cours de l’automne français ».
Cette phrase reflète le manque d’information de l’auteur qui ne fait ici que nous servir un copier-coller des idées confuses et contradictoires du MIB et des Indigènes de la République. Si l’on choisit de privilégier cette interprétation, alors on renforce inévitablement l’explication racialiste des émeutes de novembre qui a été avancée par l’extrême droite et par la droite. On ne peut pas à la fois prétendre qu’il y avait beaucoup de « mauvais Blancs » (comme le dit un des interlocuteurs de Quadrelli) parmi les émeutiers et que la guerre d’Algérie jouait un rôle central dans leur imagination. On ne peut en même temps prétendre que les immigrés et leurs enfants vivent sous une domination post-coloniale en France et que la jeunesse - à travers quels moyens ? les manuels scolaires ? ils sont dénoncés comme colonialistes !!! - est bien informée de la guerre d’Algérie. Dernière incohérence : les jeunes Africains, les Franco-Africains et les Antillais n’ont aucune relation avec la guerre d’Algérie. Par quel miracle cette guerre jouerait-elle donc un rôle important dans leur mémoire collective ?
Il y a cependant quelque chose à retenir de la remarque de Quadrelli, même si elle nous amène à une conclusion différente. Dans la mémoire collective de la classe dirigeante française, et spécialement parmi les cadres de l’armée française et parmi les officiers de police, l’expérience militaire de la guerre d’Algérie, en Algérie comme en France, n’a pas été perdue. Et les leçons ont été transmises aux dirigeants des forces de répression actuelles. Malheureusement, du côté des opprimés, il est à craindre que l’expérience concrète de ceux qui ont soutenu la lutte de libération du FLN algérien (guérilleros algériens en Algérie, soldats français déserteurs ou militants français anticolonialistes) n’ait pas été massivement transmise aux jeunes générations, même dans les quartiers ouvriers. Y.C.
Notes
1. Comme Quadrelli et ses interlocuteurs utilisent ces termes absurdes de « Blancs » et de « Noirs », j’ai décidé de les employer aussi dans cet article, non parce qu’ils auraient la moindre valeur politique, mais parce qu’ils illustrent la dégénérescence politique de la gauche (réformiste et révolutionnaire) qui désormais utilise les mêmes concepts que la droite. Cette évolution est liée à l’influence des politiques prônant la défense des « identités » et, plus récemment, de l’idéologie multiculturaliste, tout aussi conservatrice, quelles que soient ses bonnes intentions. Il est intéressant de souligner que, au Canada, c’est Pierre Eliot Trudeau, un politicien « blanc » réactionnaire, qui a imposé le multiculturalisme comme doctrine d’Etat, obligeant chaque étranger venant vivre au Canada à rester fidèle à sa « culture originelle » afin d’ « enrichir » la culture nationale canadienne et de transformer ce pays en une nation « multiculturelle ». Cela a donné lieu à un front unique efficace entre les nationalistes culturels « noirs » et les multiculturalistes « blancs », chaque courant dénonçant comme « traîtres », d’un côté, ou « racistes », de l’autre, ceux qui refusaient d’être enfermés dans des cases « ethniques » préfabriquées.
Pour une critique du caractère réactionnaire du multiculturalisme, on lira avec profit les textes d’Azam Kamguian, Maryam Namazie, Azar Majedi, membres du Parti communiste-ouvrier d’Iran, notamment ceux traduits dans les numéros 10, 11-12 et 18-19-20 de Ni patrie ni frontières ainsi que dans la brochure Femmes en Irak (tous sur le site mondialisme.org).
2. Les mao-spontanéistes (La Cause du peuple, Vive la révolution, etc.) défendaient certes une politique tiers-mondiste qui était, en dernière analyse, profondément hostile à la classe ouvrière de ces pays, puisqu’elle les conduisait à soutenir les régimes staliniens chinois, vietnamien ou coréen. Mais reconnaissons aussi qu’ils remarquèrent avant tout le monde, même si cela fut fait d’une façon populiste et démagogique, un élément qui a une étroite relation avec notre sujet : le rôle important des migrants africains et nord-africains en France. Cette orientation les conduisit à défendre une position anti-hiérarchique radicale (ils attendaient, par exemple, les chefs à la sortie des usines pour les « peindre » en bleu), dans la mesure où leur cible politique principale était les O.S., les travailleurs peu qualifiés de l’époque. On retrouve cette haine (positive) contre les chefs et les contremaîtres dans les interviews de Quadrelli mais cela amène, à tort selon nous, ses interlocuteurs à identifier le capitalisme avec la domination des seuls « Blancs », toutes classes confondues. Là aussi, on sent l’influence d’un vieux thème maoïste : dans les années 60 et 70, et c’est encore le cas dans de nombreuses usines aujourd’hui, les contremaîtres étaient généralement des Franco-Français et les travailleurs sans qualification, immigrés ou de parents immigrés. Mais, il y a trente ans, les maos exaltaient le rôle des OS et des plus opprimés, en partie en raison de leur place subordonnée dans la division du travail. Aujourd’hui, leurs lointains successeurs remplacent la lutte des classes par la lutte des « non-Blancs » contre les « Blancs ». On est passé d’un populisme radical-confus à un populisme hypocritement racialisé et encore plus confus. Pas vraiment un progrès...
3. Carlos Marighela, Mini manuel de guérilla urbaine, brochure disponible notamment sur le site marxists.org. Ce texte a eu une influence internationale et a été traduit dans de nombreuses langues.
4. La droite et les Renseignements généraux ont mis l’accent sur la participation de jeunes Franco-Africains ou Africains aux émeutes. Ils ont essayé d’établir un lien entre les émeutiers et les familles nombreuses africaines ou franco-africaines (faussement présentées comme toutes polygames, alors que ce problème, certes réel, ne concerne qu’une minorité d’entre elles) dans certains quartiers. Il n’existe pas de statistiques à l’échelle nationale, mais d’après les quelques enquêtes menées localement à la sortie des prétoires, on sait que les émeutiers venaient de toutes les origines et qu’il est donc difficile de leur coller une étiquette ethnique.
5. En France, les Renseignements généraux emploient 3500 personnes. Le Président Sarkozy vient d’obliger les RG à fusionner avec la DST.
6. En fait, ceci n’est pas tout à fait exact : sur le Net on peut trouver au moins une analyse assez proche de ce que racontent Quadrelli et ses interlocuteurs, mais sans que ce site fournisse de preuves sérieuses à l’appui de sa démonstration. Pour plus de détails voir cettesemaine.free.fr/cs91/cs91novembre.html Et il existe aussi quelques livres récents qui, dans un style ampoulé et radical, généralement influencé par le situationnisme, font l’éloge des émeutiers de novembre, mais là aussi sans présenter d’éléments factuels solides pour étayer leurs discours généralement creux.
7. Cette hypothèse est plutôt tirée par les cheveux, comme le montrent les statistiques de la nuit du 1er au 2 novembre 2005 : selon Associated Press (et « Cette Semaine » reproduit ces chiffres sans le moindre commentaire), 268 voitures privées ont été brûlées ce soir-là, et trois voitures de police attaquées, donc même pas brûlées.
8. C’est tout à fait délibérément que nous utilisons ce terme. En effet, dans son dernier livre Goodbye Mr Socialism Toni Negri affirme cyniquement que « l’alliance de Staline avec les nazis était un « acte de lucidité stratégique » ; qu’il « est absurde de tenter d’accuser l’URSS de comportements antisémites » ; que le « Thermidor stalinien a été une machine de modernisation formidable pour la Russie » ; et que le « régime bénéficiait de l’adhésion et du quasi soutien de la quasi-totalité de la population » ! Que ce lèche-cul du stalinisme passe encore pour un penseur radical fait partie de ces mystères inexplicables.
9. En fait le Coran ne mentionne pas le mot « hijab », inventé plus tard pour discipliner les femmes et renforcer la domination masculine, comme le font toutes les religions.
L’article suivant s’intitule "Forces de répression et guérilla urbaine"
(22 août 2007)
Les quatre textes suivants tentent de répondre aux hypothèses avancées par Emanuel Quadrelli dans un article publié par la revue britannique Mute. On peut le trouver en anglais sur Internet : http://www.metamute.org/en/Grassroots-political-militants- Banlieusards-and-politics Intitulé « Les banlieues, les militants de base et la politique », ce texte se fonde sur plusieurs interviews de « guérilleras noires (1) » suite aux émeutes de novembre 2005, interviews publiées dans le journal Il Manifesto, en Italie. Il nous a semblé utile de critiquer les idées que défend cet anthropologue radical et surtout les mythes qu’il propage à travers ses interviews, car ils sont à notre avis dangereux pour ceux qui les prendraient au sérieux.
« Emeutes et contes de fées pour radicaux » s’attache aux erreurs, aux exagérations, aux déformations contenues dans l’article de Quadrelli comme dans les propos des « guérilleras » interviewées dont les noms sont indiqués par des initiales (MB, MT, etc.). Une bonne partie de ces erreurs auraient pu être évitées si notre anthropologue radical avait consulté d’autres sources pour mettre en perspective les analyses de ses interlocuteurs, ou s’il n’avait pas seulement cherché à confirmer ses propres rêves ou fantasmes. Mais après tout, il n’est pas le seul à refuser de faire « l’analyse concrète d’une situation concrète ». N’a-t-on pas entendu à la télévision Olivier Besancenot, porte-parole de la LCR, se réjouir du fait que la gauche n’avait finalement pas fait un si mauvais score aux législatives de juin 2007 - « oubliant » ainsi les 40 % d’abstentions ?
Il n’y a pas que Quadrelli et ses amies « guérilleras » qui ont besoin d’amphétamines politiques pour survivre dans cette société capitaliste pourrie.
Dans son article, Quadrelli règle ses comptes avec certains intellos féministes, altermondialistes, proches de Toni Negri ou de la gauche caviar, qu’il ne cite même pas nommément. Quadrelli aurait été mieux inspiré, et son travail plus utile, s’il s’était intéressé à tous ces spécialistes des sciences sociales, qu’ils se prétendent neutres ou objectifs, altermondialistes, proches du PS ou du PCF, qui ont mené une véritable « émeute de papier » (l’expression est de l’un d’eux, Gérard Mauger, disciple de Bourdieu, et qui connaît bien ce milieu puisque c’est le sien), qui ont multiplié les colloques, les livres collectifs et les articles et qui ont surtout proposé leurs services et leurs bons conseils à l’Etat pour une « police de proximité », une « meilleure » justice, une politique urbaine plus « sociale » et plus de « diversité » dans les élites politico-médiatiques.
Notons enfin que la révérence de Quadrelli vis-à-vis de la « lucidité » de Michel Foucault, référence actuelle de nombreux militants libertaires ou anti-autoritaires, est plutôt amusante. En effet, Foucault a successivement eu des illusions sur le parti stalinien français (PCF), les mao-spontanéistes (2) des années 70, la pseudo révolution islamique de Khomeiny, la CFDT (tout comme, pour ce qui concerne ce syndicat, Cornelius Castoriadis). Sans compter qu’il acceptait de dîner à l’Elysée avec Mitterrand quand celui-ci en exprimait le désir. Foucault pensait que le Parti socialiste ne se montrait pas suffisamment radical à cause de son alliance avec le PCF (ce qui souligne l’étendue de ses illusions sur la social-démocratie) et il déclara qu’il aurait donné des conseils au gouvernement socialiste si ce dernier lui avait demandé son opinion sur des questions comme les prisons ! En fait, comme beaucoup d’intellectuels de gauche, il était fasciné par le pouvoir et regrettait que les politiciens de « gauche » ne le consultent pas plus souvent. Ce qui est plutôt comique lorsque l’on sait que Foucault passe aujourd’hui pour LE penseur anti-autoritaire. Si sa participation courageuse à la lutte contre le système pénitentiaire français dans le cadre du GIP (Groupe d’information sur les prisons) doit être saluée, et si certaines de ses analyses peuvent être utiles pour comprendre divers aspects des institutions étatiques modernes, on peut se permettre d’éprouver quelques doutes sur sa « lucidité » politique.
« Forces de répression et guérilla urbaine » s’attache à décrire sommairement les forces de police en France, parce qu’un « guérillero urbain doit avoir une grande capacité d’observation. Il doit être bien informé sur tout, en particulier sur les mouvements de l’ennemi (3) » a écrit un Brésilien « blanc » qui pratiqua la lutte armée sur le terrain, et pas dans le monde virtuel.
« Quelques hypothèses sur la lutte armée et la guérilla » esquisse de façon très sommaire et schématique quelques pistes pour un bilan des différentes formes de lutte armée dans l’ex-monde colonial et les métropoles impérialistes. « La racialisation des questions sociales mène à une impasse » tente de répondre à l’usage (hypocrite ou délibéré) de pseudo-concepts liés aux vieux concepts imaginaires des « races » dans le discours politique de la gauche et de l’extrême gauche.
Malgré la virulence des critiques ici formulées, il est évident que l’essentiel du travail reste à faire, tant sur le plan pratique que théorique. Mais il serait catastrophique que les jeunes révolutionnaires d’aujourd’hui répètent exactement les mêmes erreurs qui ont pu être commises dans les années 60 et 70, comme semblent le souhaiter Quadrelli et ses « guérilleras noires ». Y.C.
Emeutes et contes de fées pour radicaux
Des « guérilleras » invisibles Le raisonnement de Quadrelli repose sur le témoignage de plusieurs « guérilleras ou guérilleros noirs » (4). Si ces hommes et ces femmes ont réellement mené des attaques contre des agences d’intérim et contre les voitures, les maisons particulières, les entrepôts, les ateliers clandestins de nombreux patrons et contremaîtres, alors ils sont probablement activement recherchés par les forces de police françaises. Et si les banlieues sont pleines d’« espions » comme ils le prétendent, il faut espérer que les données fournies dans les interviews ne permettront pas de les identifier. On peut préserver l’anonymat du sous-commandant Marcos dans une forêt isolée du Mexique, par contre, l’opération est beaucoup plus difficile dans les banlieues contrôlées par des flics et toutes sortes d’informateurs (5).
D’un autre côté, il est difficile de croire que si vraiment, comme les « guérilleras » l’affirment, « dans la guerre de guérilla qui s’est développée dans les banlieues, toute la population, à part les espions et les maquereaux, avait un rôle combattant », aucune information n’ait été publiée avant 2007 sur un mouvement qui prétend avoir mené de nombreuses actions en novembre 2005 en France.
Ces actions n’ont été révélées que dans Il Manifesto et Collegamenti Wobly en italien ainsi que dans Mute en anglais. Il est difficile de savoir si ces actions sont réelles, exagérées ou complètement inventées, puisqu’elles n’ont été l’objet d’aucun débat approfondi en France (6). Néanmoins, sur de nombreux points aisément vérifiables, les interviews (tout comme l’article de Quadrelli qui ne prend jamais la moindre distance avec les propos de ses interlocuteurs), contiennent beaucoup d’affirmations vagues, d’exagérations grossières et d’erreurs factuelles, concernant soit les émeutes de novembre 2005 soit la société française en général. L’inventaire sera peut-être fastidieux pour le lecteur, mais on ne peut laisser se répandre de telles sornettes sur des questions aussi graves.
1) Sarkozy, la « racaille » et le « Kärcher »
Quadrelli ne mentionne ni le contexte ni l’origine de la phrase de Sarkozy qu’il cite : « Vous en avez assez, hein ! Vous en avez assez de cette bande de racailles ! Bien on va vous en débarrasser. » « Les mots « racailles » et « Kärcher » (celui-ci est cité dans une des interviews) ont été d’abord prononcés par deux Maghrébins ou Franco-Maghrébins que le ministre de l’Intérieur rencontra à La Courneuve le 25 octobre 2005 et Argenteuil, au moins de juin 2005, deux banlieues ouvrières de la région parisienne. L’un était un parent du jeune Sidi Ahmed Hammache, tué à l’âge de 11 ans alors qu’il était en train de nettoyer la voiture de ses parents en bas de son immeuble. Il a été touché par une balle perdue tirée lors d’un affrontement entre deux gangs qui s’affrontaient dans la cité des 4000. Et la seconde personne était une habitante d’Argenteuil qui, de son balcon, interpella le ministre de l’Intérieur.
Comme tout politicien populiste et démagogue efficace, Sarkozy a instantanément recyclé ces mots (en fait la phrase contenant le mot Kärcher a été prononcée lors d’une conversation semi-privée avec la famille de Sidi Ahmed, mais elle a été l’objet d’une fuite dans la presse) : il les a répétés pendant des mois dans les médias, suivi bien sûr par les dirigeants et les députés de l’UMP. Toutes ces canailles savaient parfaitement que ces termes étaient suffisamment ambigus pour satisfaire à la fois les « Blancs » racistes et les « non-Blancs » qui vivent dans des conditions difficiles et ont l’illusion que de « bons » flics de proximité pourraient faire la différence. Si l’on ignore qui a, le premier, prononcé ces mots, alors il est bien sûr plus confortable d’expliquer pourquoi une partie de la jeunesse « noire » déteste Sarkozy pour ses paroles insultantes et implicitement racistes. Mais cela présente un gros inconvénient : on a alors du mal à comprendre pourquoi certaines fractions de l’immigration, des Franco-Maghrébins et des Franco-Africains, pensent que Sarkozy avait finalement raison d’utiliser ce langage. Et pourquoi ils n’en ont pas conclu automatiquement que le ministre était raciste, du simple fait qu’il utilisait des mots qu’ils emploient fréquemment pour décrire leur propre cité.
Il est donc indispensable de souligner les spécificités du populisme de Sarkozy pour comprendre les différences entre ce politicien et le raciste décomplexé Le Pen, et aussi pourquoi Sarkozy a non seulement attiré une proportion significative des électeurs de Le Pen mais aussi 33 % des électeurs de la classe ouvrière, lors des élections de mai 2007.
2) Selon M.B. « On a beaucoup parlé des voitures brûlées comme s’il s’agissait de la seule cible, mais en réalité la cible principale était ailleurs : les flics et les commissariats. (...) Des agences d’intérim et des missions locales ont été attaquées et détruites en aussi grand nombre que les commissariats » ; « un bon nombre d’entreprises, celles qui utilisent exclusivement de la main-d’œuvre illégale ou du travail semi-forcé, sont parties en flammes » ; « nombre d’entre elles (...) exploitent surtout des femmes à travers le travail aux pièces effectué à domicile. Ou, fréquemment, en aménageant des entrepôts ou des caves dans lesquels les femmes travaillent dans des conditions presque dignes d’un camp de concentration ». « Nous et certains groupes de femmes (...) avons réglé nos comptes avec nos patrons et contremaîtres tandis que la bataille faisait rage dans les rues. Quand il nous était impossible d’attaquer les entrepôts, nous nous sommes attaqués aux maisons et aux voitures [de ces types]. Certains caïds ont eu aussi des “accidents” ».
Selon M.B., une sorte de division du travail se serait mise en place : les émeutières se seraient occupé des agences d’intérim et des ateliers clandestins, tandis que les émeutiers auraient attaqué les commissariats et les poulets. En admettant que cela se soit effectivement produit, pourquoi cette division du travail militant n’est-elle critiquée ni par les « guérilleras » ni par l’auteur ? Est-elle « naturelle » ? positive ? ou réactionnaire ? Chaque « communauté » fondée sur le « genre » ou la « race » doit-elle s’organiser indépendamment et choisir ses cibles spécifiques pour se libérer de façon plus efficace ? Et une telle « libération » affecte-t-elle la domination du Capital ? Aucune réponse n’est apportée à ces questions.
Bâtiments privés
Il n’existe pas de statistiques concernant le nombre d’agences intérimaires ou d’ateliers clandestins attaqués ou brûlés. Le gouvernement s’est contenté d’annoncer que 74 bâtiments privés avaient été détruits en France. Et les « guérilleras » ne fournissent aucun chiffre.
Travail temporaire et travail clandestin
Il est sans doute utile de préciser quelques données sur la précarité en France car M.B. semble penser que le travail temporaire y jouerait un rôle économique décisif. En 2003, 86,9 % des salariés avaient un CDI, tandis que 2,3 % travaillaient en intérim, 8 % avaient des CDD et 1,6 % étaient apprentis. Ce tableau général ne correspond donc absolument pas à l’affirmation de M.B., même s’il est évident que le travail temporaire et le chômage exercent une forte pression globale sur ceux qui ont un emploi supposément garanti : fonctionnaires et titulaires de CDI dans le secteur privé. Et même si ces statistiques n’incluent pas le travail dit « clandestin », ce dernier ne touche que quelques centaines de milliers de personnes (le nombre de clandestins, y compris les chômeurs et les mineurs est estimé, par le gouvernement, à 400 000 en France). L’analyse de M.B. s’applique davantage aux plus jeunes salariés, entre 15 et 29 ans : 6,1 % travaillent en intérim, 18 % ont des CDD, 6,7 % sont apprentis et 68,5 % ont un CDI. Et cette fraction de la jeunesse salariée est numériquement plus importante et présente dans les zones les plus pauvres des banlieues ouvrières, que dans d’autres parties du territoire.
Bâtiments publics
En France la police possède 1 700 bâtiments : des commissariats (ouverts nuit et jour, 7 jours sur 7, seulement dans les villes de plus de 20 000 habitants), des permanences administratives (ouvertes seulement pendant la semaine et jusqu’à 18 heures), des garages, etc. Si nous accordons foi aux statistiques officielles (et Quadrelli ne nous en propose aucune autre), 300 bâtiments publics ont été attaqués (ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils ont été détruits) : centres d’impôts, ANPE, MJC, crèches, gymnases, casernes de pompiers, missions locales, mairies... et commissariats. Si 10 % des bâtiments appartenant à la police (170 sur 1 700, en imaginant un chiffre très optimiste...et évidemment faux) avaient été détruits, comment l’Etat français et toutes les forces politiques « blanches » auraient-ils pu réussir à le dissimuler ?
En dehors des 300 bâtiments publics qui ont été attaqués, 30 000 poubelles et 9 500 voitures privées ont été brûlées, 140 bus ont été endommagés ou brûlés, ainsi que 100 véhicules appartenant à la Poste ; 350 écoles et 51 postes ont également été endommagées. Pourquoi Sarkozy, à l’époque ministre de l’Intérieur, aurait-il dissimulé le nombre de voitures et de commissariats attaqués ou brûlés si ce chiffre avait été significatif ? Sa gestion de la crise de novembre 2005 n’a fait qu’augmenter sa popularité en 2006 et 2007 parmi les 5 millions d’électeurs du Front national. Il aurait été trop heureux de trouver la preuve de l’existence d’une « guérilla urbaine », si elle avait réellement existé, et il aurait reçu l’appui enthousiaste de tous les médias qui savent que seules les nouvelles dramatiques attirent l’attention des lecteurs et des téléspectateurs.
À ma connaissance, aucun commissariat central n’a été attaqué. Seules de petites permanences administratives vides (car fermées la nuit) ont subi quelques caillassages ou quelques cocktails Molotov. Et les affrontements directs avec la police (à l’exception des deux premiers jours à Clichy-sous-Bois et Montfermeil, comme lors des émeutes « habituelles » des années précédentes) ont été très rares pour deux raisons : les émeutiers étaient si peu nombreux qu’ils savaient qu’un combat rapproché avec les flics ne pouvait être que suicidaire, quant aux flics, ils avaient des consignes très strictes pour ne pas commettre de « bavures ». Sarkozy lui-même craignait que se répète un « accident » comme celui de Malik Oussekine, ce jeune étudiant sous dialyse tabassé par des flics en marge d’une manif en 1986 et qui mourut peu après. Contrairement aux affirmations de Quadrelli, les affrontements de novembre 2005 ressemblaient bien davantage au jeu du chat et de la souris qu’à des combats de « guérilla ». Signalons d’ailleurs que, en ce qui concerne l’utilisation d’armes à feu par les émeutiers, apparemment 10 CRS et deux policiers dans leur voiture ont subi quelques tirs, mais qu’aucun d’entre eux n’a été blessé. Destruction des voitures de flics
Les flics possèdent 1 996 véhicules destinés au « maintien de l’ordre », 15 454 « véhicules légers » et breaks et 3 897 « véhicules de service ». Soit un total de 21 348 véhicules. Le site « Cette Semaine » a avancé l’hypothèse que, à l’échelle nationale, pas plus de 90 véhicules privés n’auraient été détruits chaque jour (7). Dans la mesure où les émeutes ont duré 18 jours, cela concernerait donc 1 620 voitures. En comptant très large, et même si l’on ajoute à ces 1 620 voitures, les 140 véhicules de la Poste et autobus qui ont été soit endommagés soit brûlés, cela nous donne environ 1 860 véhicules. Donc si l’on soustrait ce chiffre de 1 860 aux 9 500 voitures brûlées, il nous reste encore 7 640 véhicules.
Si le site « Cette Semaine » avait raison (et Quadrelli et ses interlocuteurs défendent une position proche de la leur), cela signifierait que non seulement la plupart des 1 996 véhicules utilisés pour le maintien de l’ordre auraient été détruits mais aussi une fraction significative de ceux utilisés pour des missions de routine ou de service.
Comment le ministre de l’Intérieur, les différents syndicats de policiers et tous les médias auraient-ils réussi à cacher qu’au moins un quart, voire un tiers, du total du parc automobile de la Maison Poulaga aurait été détruit sans laisser la moindre trace ? Cela aurait supposé de dissimuler des milliers de factures, d’obliger tous les policiers, voire même les garagistes à se taire, et de dissimuler pendant deux ans une hausse considérable du budget destiné à remplacer les véhicules disparus.
Et même si l’on soustrait à ces 7 640 véhicules, disons 2 000 bagnoles de patrons, de cheffaillons et de fachos, miraculeusement détruits par les guérilleras qu’a interviewées Quadrelli ou par d’autres « émeutiers », comment aurait-on pu dissimuler pendant deux ans la destruction de 5 000 véhicules de police ? De plus, habituellement, les flics « travaillent » à l’intérieur ou près de leurs véhicules. Dans ces conditions, combien d’entre eux auraient été gravement blessés, voire seraient morts, si des milliers de voitures de police avaient été brûlées avec leurs occupants à l’intérieur ?
Le syndicat de droite Alliance (36 % aux élections professionnelles) a obtenu une prime « spéciale émeutes ». Peut-on imaginer que ce syndicat serait resté silencieux si des centaines de leurs collègues avaient été sérieusement blessés durant de telles attaques ? Le nombre de keufs blessés a doublé au cours des dix années précédant 2005 (il est passé de 2 200 à 4 400 par an), mais n’a pas connu une augmentation significative en 2005 à cause des émeutes (entre 139 et 195 poulets ont été blessés - les statistiques gouvernementales sont incohérentes à ce sujet). Toutes ces données de base ne coïncident pas avec le tableau apocalyptique dressé par Quadrelli.
Quadrelli et ses amis « guérilleros » semblent croire qu’un Grand Complot aurait été organisé pour cacher la vérité : « la censure initialement appliquée [contre ce document] a finalement dû être retirée », écrit Quadrelli. Il fait allusion à un rapport des Renseignements généraux, ce service dont les rapports sont souvent refilés en douce aux journalistes, notamment à cause des rivalités entre les différents services de police ou entre les différentes fractions gouvernementales. Il est ridicule de parler de « censure » à propos d’une service de police qui regroupe des gens de diverses sensibilités politiques, de Sud à l’extrême droite, ce qui constitue un facteur supplémentaire de fuites en direction de la presse. Sans compter le fait de travailler régulièrement au contact de telle ou telle force politique finit sans doute par influencer leur jugement. Et pour en finir avec le mythe de la lucidité des RG, il suffit de noter qu’ils ont été incapables de déceler le moindre signe annonciateur des émeutes de 2005 !
Mais revenons à notre théoricien des complots. Quadrelli écrit : « une grande part de la vérité sur les origines des conflagrations françaises a été, d’une façon fort opportune, cachée au moment où elles sont apparues » ; « dans une grande mesure, les médias ignoraient la vérité » ; « beaucoup d’intellectuels ignoraient la vérité » ; « en quelque sorte ils ont tous fini par endosser la version de la vérité diffusée par le pouvoir », etc. Ce type de discours aurait un sens si Internet n’avait pas existé en 2005 et si les émeutes s’étaient produites dans une jungle ou une montagne isolée dans un coin inaccessible de la planète. Si l’on tient compte de la situation française et des possibilités d’accès illimité des « guérilleras noires » à toutes sortes de médias alternatifs, on ne peut qu’être sceptique devant de telles affirmations péremptoires. Une seule raison pourrait expliquer leur silence : leur sécurité. Mais, dans ce cas, le fait de se dévoiler deux ans plus tard n’est-il pas aussi dangereux pour elles ? À moins qu’elles se soient depuis réfugiées dans la forêt lacandone ou la jungle birmane...
Comme l’écrit Wil Barnes, « Quadrelli défend une thèse qui est la suivante : les luttes de la jeunesse “noire”, spécialement celle des banlieues, ont détrôné la vieille lutte des classes, qui n’est plus pertinente. Et cette nouvelle réalité façonne ses intuitions, ses perceptions et sa compréhension. Il est donc logique qu’à ses yeux seule l’existence d’une conspiration explique la non-reconnaissance par autrui de cette nouvelle réalité » (imaginaire, ajouterons-nous).
3) Selon Quadrelli : « Ce qui s’est passé l’automne dernier dans les banlieues françaises a été rapidement écarté comme un événement apolitique » ; « l’organisation du travail, le modèle de gestion du gouvernement et de l’armée industrielle de réserve étaient les cibles de la révolte »
Chacun se souvient de l’article écrit par l’historienne Françoise Blum le 10 novembre 2005 dans Le Monde, article cité et reproduit dans de nombreux livres et repris fréquemment sur Internet. Et dans tous les livres collectifs et les conférences organisées depuis novembre 2005, les spécialistes des sciences sociales ont souligné la dimension politique des émeutes. Bien sûr, ils ne partageaient pas le point de vue spécifique de Quadrelli fondé sur le témoignage de ses « guérilleras noires ». Néanmoins, ils n’ont pas ignoré la dimension politique des actes des émeutiers. Beaucoup de ces auteurs réformistes ont souligné que la jeunesse des banlieues croyait au message « égalitaire » républicain. Ils ont expliqué que si les émeutiers brûlaient les symboles de l’Etat ou attaquaient ses représentants, c’était parce qu’ils voulaient que l’Etat joue son « rôle égalitaire et démocratique », et pas parce qu’ils voulaient le détruire ou le renverser, comme le croient les « guérilleras » interviewées par Quadrelli.
Cela n’empêche pas cependant, comme l’écrit Wil Barnes, de toujours garder à l’esprit que « leurs actions exprimaient une formidable colère, un intense désir de détruire le monde, ce monde qu’ils tiennent pour responsable de leur situation désespérée ». Mais il faut être sacrément naïf pour croire que cette révolte peut donner quoi que ce soit, sans une réflexion politique approfondie de la part des « émeutiers » eux-mêmes. Les sociologues ont écrit que, même si l’on n’a pas vu apparaître des formes d’organisation et d’expression traditionnelles (tracts, dirigeants, comités, etc.), les revendications étaient implicites dans les cibles choisies par les émeutiers. Et le fait que de nombreux émeutiers aient brandi leur carte d’identité face aux caméras de télévision fut interprété par nos intellos de gauche comme un signe que les émeutiers étaient porteurs d’une sorte de conscience politique républicaine : ils voulaient être respectés en tant que « citoyens » et bénéficier de tous les droits liés à ce statut..
Dans une certaine mesure, cette analyse fut confirmée deux ans plus tard par le taux de participation très important durant les élections présidentielles (87 %), et les votes majoritaires pour la candidate du PS dans les quartiers ouvriers, et d’une autre façon par les petites manifestations de colère et de déception d’une minorité de la jeunesse la nuit du second tour et la semaine suivante.
Evidemment, l’explication citoyenniste des sociologues est très critiquable (cf. « Citoyennisme ? Attraction fatale ! », sur le site mondialisme.org) mais on ne peut se contenter d’ignorer son existence, lorsque l’on prétend que les émeutes de 2005 auraient été seulement considérées par la gauche et l’extrême gauche comme apolitiques. Il suffit par exemple de lire l’article de Marwan Mohammed « Les voies de la colère : “violences urbaines” ou révolte d’ordre “politique” ? L’exemple des Hautes-Noues à Villiers-sur-Marne » sur le site http://socio-logos.revues.org/document352.html pour constater que Quadrelli s’attribue une perspicacité absolument démesurée...
4) « En comparaison, Mai 68 apparaîtra comme une polissonnerie inventée par des étudiants un peu trop exubérants. Pendant plus de 20 jours, aucune banlieue française n’a pu dormir tranquille » en novembre 2005, écrit Quadrelli qui semble croire que les dernières « émeutes » étaient plus importantes, d’un point de vue politique et social, que Mai 68.
Une telle affirmation absurde est, quelque part, indispensable pour notre anthropologue puisqu’il rejette la « vieille » notion de lutte des classes et cherche à la remplacer par une interprétation plus « branchée » des conflits sociaux. De quoi s’agit-il exactement ? D’un mélange entre, d’un côté, la « théorie » de la Multitude inventée par le stalinien (8) Negri, et, de l’autre, celle des minorités « post-coloniales » vivant au sein des sociétés occidentales « blanches » (démarche qui rappelle furieusement celle des Indigènes de la République). Et pour épicer cette soupe idéologique, l’auteur nous balance une pincée de Foucault et reproduit sans les critiquer les références élogieuses de ses interlocuteurs aux guérillas nationalistes du tiers monde. Mai 68 a mobilisé 10 millions de grévistes, même si une bonne part d’entre eux sont restés chez eux et n’ont pas été très actifs politiquement (dans le sens que tous - loin de là - n’occupaient pas les usines - contrairement à juin 1936 -, n’allaient pas aux manifestations ni ne participaient aux comités d’action, etc.) Novembre 2005 a mobilisé autour de 15 000 personnes. (4 700 personnes, authentiques émeutiers ou pas, ont été arrêtées, la moitié d’entre elles après les émeutes, et apparemment il y avait très peu de jeunes filles parmi eux.) En novembre 2005, seuls 25 départements français sur 96 ont été touchés par les « émeutes ». Il est compréhensible qu’aujourd’hui de jeunes révolutionnaires en aient ras-le-pompon de la mythologie soixantuitarde et veuillent gagner leurs propres titres de gloire. Et ils ont de bonnes raisons d’être en rogne (cf. « De Mai 1968 à Mars-Avril-Mai 2006 » Ni patrie ni frontières n° 16-17, et site mondialisme.org). Mais construire de nouveaux mythes bancals pour remplacer les anciens ne servira pas à changer la réalité.
Comme les camarades de Mouvement communiste l’ont écrit : « (...) il est évident que l’avantage militaire est resté aux forces de répression. Les manifestants ont rapidement évité les affrontements directs avec celles-ci, ayant opté pour la multiplication d’actes isolés, menés par des groupes réduits en nombre, contre des biens privées et publics. Parallèlement, les forces de répression ont réduit au strict minimum les occasions de contacts directs et rapprochés afin d’éviter des bavures. (...) Les forces de répression se sont en revanche concentrées sur la multiplication de rafles à froid, préventives et sélectives. » (Lettre de Mouvement communiste n° 19, sur le site mouvement-communiste.com/)
5) Selon Z. : « nous avons eu affaire à quelques tentatives des fascistes de construire leurs propres groupes de guérilla pour la contre-insurrection dans les banlieues » ; « des groupes de droite liés à Le Pen, qui ont une certaine implantation dans la banlieue et qui peuvent compter sur un soutien et une protection considérable de la part des Brigades anticriminalité. Le lien entre les groupes nazis et les BAC est très étroit et dans une certaine mesure ils ne font qu’un » ; « nos forces militantes (...) ont détruit, à travers une série d’actions ciblées, toutes les bases ou en tout cas une grande partie de celles que les paramilitaires préparaient dans les banlieues ». Et dans une note, Quadrelli ajoute : « À Sens, par exemple, où les CRS sont basés, l’hymne adopté pour les nouvelles recrues était celui de la Division SS Charlemagne, ces volontaires français qui combattaient aux côtés des nazis. On ajoutera à tout cela le fait que le syndicat d’extrême droite PPIP (sic !) était hégémonique au sein des forces de sécurité, ce qui obligea les magistrats à le dissoudre parce qu’il appelait ouvertement à la haine raciale ». Malheureusement, la plupart des informations de notre distingué anthropologue sont, à notre connaissance, inexactes. Il n’y a pas de syndicat qui s’appelle PPIP. Il existe un syndicat d’extrême droite (la FPIP), mais il n’a pas été dissous. Il a été infiltré par le Front national au début des années 1990, ce qui a d’ailleurs provoqué une enquête parlementaire dont on peut consulter les travaux sur le Net. La FPIP n’a jamais été « hégémonique » à l’échelle nationale (cf. les chiffres plus loin), à moins que Quadrelli ait voulu dire hégémonique à Sens seulement ? Mais Sens ne représente qu’une seule ville en France et il existe 61 compagnies de CRS.
En ce qui concerne la chanson de la Division Charlemagne, on trouve sur le Net une autre version qui, dans un certain sens, est à la fois plus plausible et bien pire ; si l’on compare l’hymne de la Division Charlemagne et le texte d’une des chansons des CRS, il existe des similitudes inquiétantes. C’est peut-être l’origine de l’anecdote rapportée à Quadrelli. Mais, de toute façon, cela n’a rien à voir avec l’infiltration des fascistes dans les forces de police, et tout à voir avec l’idéologie nationaliste française, ce qui est un enjeu bien plus inquiétant.
Le fait que, dans certaines banlieues, des fascistes, des nazis ou des militants du Front national infiltrent ou coopèrent, selon Z. avec les Brigades anticriminalité ne peut être projeté à l’échelle nationale - à moins de fournir des preuves sérieuses à l’appui de cette thèse. Tout d’abord, les groupes vraiment fascistes sont ultraminoritaires en France. Certes, il existe des fascistes au sein du Front national, mais, au sens strict, le FN n’est pas un parti fasciste, qui disposerait de milices paramilitaires et voudrait renverser l’Etat. Quant à la capacité de recruter des hommes de main dans le Milieu, la très respectable UMP est certainement plus capable de le faire d’une manière rapide et efficace que Le Pen. Le Front national n’est qu’une coalition hétérogène de factions (des nostalgiques de l’Algérie française aux catholiques intégristes), unies par le culte d’un chef désormais contesté et vieillissant ; quant aux jeunes néo-nazis et athées, beaucoup sont partis avec Mégret et son groupusculaire MNR. De plus, il y a fort à parier que si le FN a (malheureusement) un avenir politique un jour, ce sera en imitant l’exemple d’Alianza nazionale en Italie (où les fascistes du MSI ont refusé de suivre Fini qui leur proposait de transformer le nom et la ligne du Parti et ont préféré créer d’autres partis fascistes « authentiques ») plutôt qu’en tentant de construire une force antiparlementaire « fasciste-révolutionnaire ». Enfin, les forces de répression traditionnelles représentent un danger beaucoup plus grave en France que les minuscules groupes fascistes.
Quadrelli et Z. devraient savoir que le rôle des polices parallèles a toujours été plus important que celui des groupes fascistes pendant les cinquante dernières années. Ces polices parallèles recrutaient d’anciens membres de la police et de l’armée, des individus travaillant en « free-lance » pour les services secrets, des mercenaires, des hommes de main du Milieu, etc. Les cadres de l’Organisation Armée Secrète, qui a certainement été la force réactionnaire la plus dangereuse après la Seconde Guerre mondiale, n’étaient pas principalement des ex-fascistes mais d’anciens membres des réseaux gaullistes, voire socialistes, de la Résistance antinazie...
Les deux syndicats proches de l’extrême droite, la FPIP (Fédération professionnelle indépendante de la police) et Action Police CFTC ont respectivement obtenu 4,73% et 1,40% des voix lors des dernières élections syndicales. (Il y a douze ans, l’extrême droite représentée par la FPIP et le Front national police - dissous depuis - avaient reçu 13,24 % des voix en 1995 parmi les 87 000 flics de base et leurs sergents ; et à la même époque l’extrême droite avait obtenu la majorité des voix dans 2 des 61 compagnies de CRS). Aujourd’hui, le syndicat UNSA Police (qui organise à la fois les gardiens de la paix et les CRS) recueille 41 % des voix et ce syndicat est proche du PS... et non de fascistes imaginaires. Quant à Action Police CFTC, elle a été exclue de ce syndicat et n’existe plus. De toute façon elle ne regroupait que 150 cotisants même si elle prétendait avoir des milliers de sympathisants !
6) « En réalité, plutôt que d’arrêter les coupables, ils ont expulsé des milliers de gens », a déclaré J.B. à Quadrelli. 100 étrangers ont été arrêtés, 10 procédures d’expulsion ont été lancées et TROIS personnes ont finalement été expulsées. La plupart des 4 500 « émeutiers » arrêtés étaient titulaires d’une carte d’identité française, même si leurs parents étaient africains ou maghrébins. Parmi les rares études réalisées après les arrestations, on peut citer celle concernant la Seine-Saint-Denis : 36 % des interpellés étaient Franco-Français, 35 % Franco-Maghrébins et 29 % Franco-Africains. Donc, même si Sarkozy annonça en 2005 qu’il allait expulser tous les étrangers arrêtés, il n’en a pas trouvé beaucoup à expulser (trois et non des « milliers » !!!) et il a découvert de toute façon qu’il ne pouvait pas prendre cette mesure pour des raisons juridiques. (Remarquons au passage que ce n’est pas très malin de s’être autant avancé sur le terrain juridique, du moins pour un type qui est avocat de formation et de profession ! Ou alors il ne s’agissait que d’une rodomontade lancée en direction des électeurs du FN. Auquel cas, cela a été très efficace deux ans plus tard.)
Bien qu’il faille prendre leurs statistiques avec une grande méfiance, les Renseignements généraux ont estimé que, parmi les 436 chefs d’émeutiers qu’ils avaient repérés, 87 % avaient la nationalité française. Et parmi ceux-ci 67 % avaient des parents maghrébins, 17 % des parents africains et 9 % des parents franco-français. Même les services de Sarkozy ont dû reconnaître que la part des « étrangers » dans les émeutes était secondaire.
7) « Le banlieusard qui pouvait incarner toute la banlieue devint un objet de culte », du moins pendant un certain temps, déclare G.Z.
Sa critique de la manipulation des individus carriéristes « issus de l’immigration » (selon l’une des expressions politiquement correctes en vogue qui tend désormais à être remplacée par « issus de la diversité ») vise juste. Mais G.Z. prétend qu’aujourd’hui nous serions dans la situation inverse : « le banlieusard n’incarne plus le peuple, aujourd’hui le mythe est celui du casseur, de la brute, du type exécrable, invisible, pré-moderne, pré-social, marginal, pré-global, ou que sais-je d’autre ».
G.Z. ne regarde probablement pas souvent la télévision, qui est le principal outil de lavage de cerveaux actuellement. S’il allumait son poste, il se rendrait compte que les chaînes publiques et même les principaux partis politiques essaient de faire exactement le contraire, du moins à l’échelle locale. Ils mettent en avant l’exemple de petits entrepreneurs et d’associations locales qui se démènent en banlieue, de Franco-Africains ou de Franco-Maghrébins qui sont considérés comme des exemples par leurs voisins, etc.
8) Les « banlieues » et les « banlieusards » sont faussement présentés comme socialement ou « racialement » homogènes. Quadrelli et ses guérilleras n’expriment pas cette idée de façon aussi abrupte, mais elle est implicite dans le titre, les interviews et l’article, dans des expressions comme « les femmes de banlieue, les habitants de banlieue, les quartiers noirs », etc. Les banlieues sont apparues à l’extérieur des grandes villes françaises. Elles couvrent 7 % du territoire national et abritent 21 millions de personnes, soit presque un tiers de la population totale. Parmi ces 21 millions, 4,5 millions vivent dans une situation très précaire (avec moins de 640 euros par mois et par personne).
Si l’on veut présenter un tableau ultrasimplifié de la situation, les « banlieues » se divisent en deux catégories : celles qui abritent des pavillons et celles qui accueillent des logements sociaux (4 millions de logements sont financés par l’aide de l’Etat ou des régions). Mais, en réalité, la situation est beaucoup plus complexe : « villes nouvelles » accueillant généralement des professions libérales, des petits bourgeois salariés et des ouvriers qualifiés ; vieilles zones industrielles en crise ; nouvelles zones high tech ou de bureaux, etc., se trouvent aussi en « banlieue ».
Certaines banlieues sont 100 % bourgeoises, d’autres abritent toutes les nuances des classes moyennes, d’autres mélangent petits bourgeois et ouvriers.
À l’intérieur des banlieues à majorité ouvrière (plus ou moins les ZUS qui abritent 4,5 millions d’habitants), on assiste à des mélanges sociaux complexes au sein d’un même territoire : de petits pavillons ouvriers, des petits immeubles pour les employés ou les profs, de vieilles tours en ruine qui « accueillent » les migrants récents, des tours plus récentes abritant ceux qui ont des boulots plus stables (« Blancs » et « non-Blancs », cols bleus et cols blancs).
C’est pourquoi une émeute peut se produire à 500 mètres d’une zone pavillonnaire. Ou à 1 km d’un bâtiment bien entretenu ou d’une tour avec des logements sociaux.
Si l’on prend la théorie de la guérilla urbaine au sérieux, alors il est important d’étudier et de bien connaître le territoire où l’on va agir. « Le guérillero urbain doit se renseigner minutieusement et bien connaître les quartiers dans lesquels il vit, il opère ou qu’il traverse », écrit Marighella (3). L’article, les notes, les références et les interviews de Quadrelli ne nous fournissent aucune analyse détaillée du territoire des banlieues françaises, uniquement des affirmations impressionnistes et vagues.
9) Selon Quadrelli : « il n’est pas indifférent, de ce point de vue, qu’un climat de relative paix sociale ait marqué la révolte à Marseille, la ville française où le crime organisé semble détenir un pouvoir considérable ». En d’autres termes, Marseille n’aurait pas bougé parce qu’elle serait contrôlée par la Mafia ! L’auteur aurait dû, avant d’écrire ces lignes, regarder une carte de la ville, contacter quelques militants locaux et leur demander où se trouvaient les quartiers populaires et ouvriers.
S’il s’était renseigné un peu, il aurait constaté que « les emplois dans le secteur de l’animation urbaine à Marseille ont augmenté de 661 % en moins de vingt ans », que ces emplois concernent essentiellement des jeunes de 17 à 25 ans et que « la zone franche qui s’étend au pied des cités entre les 15e et 16e arrondissements a, depuis 1997, attiré près de 2 000 entreprises et créé 10 600 emplois. Plus d’un tiers des salariés ont été embauchés dans les quartiers alentour » (Michel Samson, Le Monde du 14/12/2005). Ces deux facteurs (l’importance et la nature de l’encadrement municipal et associatif à Marseille par rapport à la région parisienne ; et l’embauche d’un nombre significatif de jeunes des quartiers dans la zone franche) n’expliquent bien sûr pas tout, et l’on peut avancer aussi d’autres hypothèses. En général, les banlieues qui « jouissent » d’un accès plus ou moins correct au centre-ville (avec des bus, des trains ou des tramways pas trop clairsemés), ont connu beaucoup moins d’émeutes que ceux comprenant les cités les plus isolées : Clichy-sous-Bois est un exemple « parfait » de ségrégation sociale et spatiale. Une statistique un peu ancienne mais révélatrice illustre le problème : en 1990, sur les 500 quartiers jugés « difficiles » (il en existe désormais 718 en France métropolitaine), 13 % étaient traversés et 32 % longés par une autoroute, 83 % étaient bordés par une voie express, 70 % longeaient une voie ferrée mais seulement 40 % se trouvaient à proximité d’une gare.
Par conséquent c’est parce que 1,5 millions de « pauvres » (sur les 6 millions à l’échelle nationale) vivent dans les centres-villes et pas dans les banlieues, que Marseille, comme d’autres villes abritant des quartiers ouvriers près du centre ou à l’intérieur de leurs murs, a connu moins d’émeutes - et non à cause du pouvoir tout-puissant de la Mafia locale !
Un autre élément intervient dans l’intensité inégale des émeutes : parfois la différence entre un émeutier de base et un ouvrier « normal » est très subtile. Les ouvriers les plus mal payés (par exemple ceux qui volent des marchandises dans le secteur logistique et qui les revendent pour arrondir leurs fins de mois) peuvent être à la fois des travailleurs et de petits trafiquants. On notera aussi que des quartiers comme Mantes-la-Jolie (où eurent lieu les émeutes de 1991) et Vaulx-en-Velin (qui a connu des émeutes locales importantes en 1979 et en 1990) ont peu participé aux événements de novembre 2005. Pour expliquer la distribution inégale des émeutes sur le territoire français, il faudrait se livrer à une réflexion approfondie et à de solides enquêtes, et non se contenter de généralités approximatives. Pour en terminer avec la question de la localisation des émeutes, notons qu’il n’existe pas de lien direct entre de mauvaises conditions de logement et les « émeutes » : parmi les 146 000 personnes qui vivent dans des caravanes, les 200 000 qui vivent dans les rues (et dorment parfois dans des asiles de nuit), et 550 000 qui vivent dans des hôtels minables ou des chambres délabrées, donc parmi les 900 000 personnes qui subissent les pires conditions de « logement », la majorité d’entre elles ne vivent pas à proximité des cités des banlieues qui ont explosé en novembre 2005.
10) Selon M.B., « les mouvements de gauche (...) ne veulent pas être contaminés par les jeunes banlieusards, ils font tout ce qu’ils peuvent pour les tenir à distance et dans certains cas ils ont collaboré avec la police pour les empêcher d’agir au centre de Paris ». Quant à M.T., il déclare : « Les banlieusards ont attaqué les étudiants des universités, les ont tabassés et dévalisés. » M.B., M.T. et sans doute Quadrelli lui-même mélangent (délibérément ?) différents événements, diverses périodes et différentes questions politiques. Tout d’abord, ils mélangent ce qui s’est passé en novembre 2005 (où il n’y a eu aucun conflit entre émeutiers et étudiants dans aucun endroit du territoire) avec ce qui s’est passé entre mars et mai 2006, et, de surcroît, à Paris seulement.
Durant le mouvement contre le CPE de 2006, des dizaines de milliers de lycéens, de collégiens et d’étudiants ont manifesté à l’intérieur des manifestations. Quelques centaines de jeunes gens, généralement des adolescents, sont intervenus à l’extérieur des manifs. Selon des observations faites par des camarades dans quatre manifestations parisiennes, ils étaient organisés en groupes rassemblant de 8-12 à 30 personnes. Le « jeu », pour eux, consistait à repérer un individu isolé (de préférence une adolescente ou un jeune à lunettes, pas très baraqué), sur les marges des manifestations. Si cet ado avait un portable à la main, un appareil photo ou une chouette veste, ils le jetaient à terre (grâce à la technique dite de « la balayette »), lui dérobaient très rapidement ce qui les intéressait, le tabassaient souvent violemment et partaient ensuite en courant. Ces jeunes avaient pour la plupart entre 14 et 18 ans, avec parfois un chef plus âgé, genre 25 ans. Ils n’ont JAMAIS affronté les manifestants, sauf le 23 mars 2006, sur la place des Invalides, où, à la fin de la manifestation, quelques groupes de sympathisants de la CNT ont finalement décidé de réagir contre ces agressions menées contre des individus isolés. Mais il est évident que la CNT n’a remis personne aux flics. L’une des raisons pour lesquelles les groupes révolutionnaires hésitaient à intervenir contre les agresseurs étaient que ceux-ci étaient généralement « noirs », d’après les concepts ethnicistes de Quadrelli, et qu’ils craignaient d’être traités de racistes s’ils agissaient contre eux.
Il est arrivé, d’autre part, que des membres des syndicats de policiers ou bien du SO de la CGT interviennent non seulement pour empêcher ces actions de racket, mais pour remettre leurs auteurs aux flics. (A ce propos, un camarade de la CNT-AIT fait remarquer, sur le site Noir et Rouge, que le SO de la CGT se serait livré à des agressions en quelque sorte "préventives" (pour reprendre le vocabulaire policier particulièrement bien adapté en cette circonstance) à caractère raciste contre les jeunes à capuche d’origine africaine qui se promenaient en petits groupes sur les côtés des manifs anti-CPE. Il est difficile de faire la part du racisme, de la haine des jeunes et de la haine des "casseurs" dans ce type d’intervention, mais c’est effectivement fort probable.) Certains syndicats ont publiquement affirmé avoir collaboré avec la police, mais cela n’a pas eu d’effet significatif, étant donné la rapidité et l’organisation des groupes très mobiles qui attaquaient des individus isolés sur les côtés des manifestations. Donc, dans les citations ci-dessus de M.T. et M.B., l’usage des mots « gauche », « banlieusards » et « étudiants » est parfaitement trompeur et mystificateur.
11) Durant la lutte contre le CPE, les « banlieusards » étaient opposés aux étudiants universitaires, pense M.B. : « Les jeunes appartenant aux mouvements de gauche sont surtout des étudiants, tandis que les autres sont des travailleurs, des voleurs, des délinquants et, il n’y a aucune raison de le cacher, des petits trafiquants de drogue ».
Mélanger la question générale de la composition sociale de la jeunesse d’extrême gauche ou libertaire avec les problèmes spécifiques qui se sont produits durant le mouvement anti-CPE ne facilite pas la compréhension, y compris des émeutes de novembre qui s’étaient produites plusieurs mois auparavant. La composition sociale des étudiants aujourd’hui est très différente de celle des années 60. La moitié des étudiants travaillent à mi-temps, avec des CDD, etc. Dans les universités situées dans les banlieues, on trouve une proportion plus élevée de fils d’ouvriers et d’employés qu’à Paris intra muros. À l’échelle nationale, les ouvriers et les employés représentent 60 % de la population active et leurs enfants ne représentent que 22 % des étudiants, c’est-à-dire une minorité significative. Après la quatrième année, ce pourcentage tombe à 12 % et diminue encore davantage pour ceux qui arrivent à passer un doctorat ou l’agrégation. La situation est donc plus complexe que le tableau simpliste présenté par Quadrelli et ses interlocuteurs. Par contre, il est exact qu’il existe une différence importante (et ce, qu’elles que soient leur origine nationale ou leur couleur de peau) entre ceux qui ont arrêté d’étudier à 16 ans, ceux qui sont au chômage (titulaires d’un bac ou d’un diplôme universitaire), d’un côté, et, de l’autre, ceux qui étudient encore au lycée ou à la faculté. Leur réalité et leurs espérances quotidiennes sont très différentes, même si, dans la classe ouvrière, on peut trouver des représentants des trois groupes ci-dessus dans la même famille. L’exemple classique étant la sœur qui réussit ses études et le frère chômeur ou en échec scolaire. Mais présenter ces contradictions, bien réelles, comme une opposition de classe entre, d’un côté, des « Noirs » pauvres des banlieues et, de l’autre, des étudiants « blancs » parisiens des classes moyennes est à la fois factuellement erroné et politiquement absurde.
En ce qui concerne le caractère majoritairement « petit bourgeois » de la « jeunesse d’extrême gauche », l’argument est déjà un peu moins fantaisiste, mais il demanderait à être étayé et discuté. Spécialement quand ceux qui balancent ces jugements définitifs appartiennent au même milieu social que ceux qu’ils dénoncent violemment.
12) « Les banlieusards posent un problème exactement opposé à celui posé par la jeunesse des classes moyennes », prétend M.T. Tout dépend ce que l’on appelle les « classes moyennes » (si l’on y inclut ou non les employés, les professeurs, les ingénieurs, les travailleurs sociaux, etc.) et ce que l’on appelle les « lycées ». Si l’on considère les lycées professionels, l’affirmation de M.T. est inexacte. Tout comme si l’on prend en compte que, parmi les 500 000 jeunes qui ont eu le baccalauréat l’année dernière, 35 % étaient des fils d’employés ou d’ouvriers.
Bien sûr, la sélection sociale est sans pitié mais elle a été retardée dans le temps, si l’on observe l’évolution à long terme enclenchée depuis les années 60. Comme cette sélection n’est pas aussi évidente qu’il y a quarante ans, elle peut nourrir de profondes frustrations sociales et un bas niveau d’estime de soi, pour ceux qui ne voient pas, ou ne comprennent pas, comment le système fonctionne. Mais, en même temps, le système scolaire (y compris l’université) reste le seul moyen de grimper un peu dans l’échelle sociale. Pour compléter le tableau, signalons que 100 000 jeunes quittent le système scolaire chaque année à l’âge de 16 ans et sans aucun diplôme. Parmi ces 100 000 adolescents, 30 % sont des fils d’ouvriers, une autre forme de sélection sociale cachée qui s’opère à travers le système scolaire. Les enfants de la classe ouvrière abandonnent plus souvent leurs études avant le bac, ils obtiennent leur bac à un âge plus avancé et ils hésitent davantage à entrer à la fac, même s’ils ont le bac, que les enfants des « classes moyennes ». C’est maintenant à l’intérieur du système universitaire lui-même que la sélection sociale se déchaîne, même dans les Instituts universitaires de technologie, qui offrent un cursus de deux ans et comprennent 50 % d’enfants de la classe ouvrière.
13) « Pour eux [les banlieusards], les lycéens et les étudiants sont encore pire que les flics », déclare M.T.
Cette affirmation est absurde et réactionnaire. Bien sûr, on pourra toujours trouver des gens qui tiennent ce genre de propos. Mais affirmer que, dans les familles ouvrières, tous les jeunes haïssent leurs voisins ou les membres de leur famille qui étudient au lycée ou à la fac est absurde. Légitimer politiquement cette manière de penser contribue à répandre une idéologie réactionnaire. Une démarche nationaliste fondée sur la race et la couleur de peau est réactionnaire - et même triplement réactionnaire quand on sait que ce genre de discours est tenu par M.T., une « Blanche », selon Quadrelli, qui a fait des études supérieures pour devenir travailleuse sociale...et donc appartenir à la « classe moyenne » qu’elle honnit ! Ce type de raisonnement renforce le discours de la classe dominante : la connaissance n’est pas importante pour vous, seule une élite peut réussir à étudier et comprendre ce monde, acceptez donc d’être des esclaves salariés. Et M.T. va encore plus loin puisqu’elle explique que les « banlieusards » éprouvent, d’une certaine façon, plus d’empathie pour les flics, qui font le sale boulot, que pour les étudiants qui, selon elle, « profiteraient » de l’existence des policiers. Les fascistes ont toujours su habilement exploiter le ressentiment anti-intellectuel et soutenir l’ « énergie vitale » masculine du peuple, qu’ils opposent au manque de virilité des « intellectuels ». Il est donc lamentable de voir un anthropologue radical entériner en silence ce genre de propos réactionnaire.
14) Selon M.T. : « 68 est mort et enterré depuis longtemps et au sein du monde étudiant il n’existe plus de liens communs. Il n’y a plus de culture, de philosophie politique ou d’idéologie qui rassemble les étudiants : en pratique, ils ne font que reproduire les différenciations sociales dans lesquelles ils sont plongés. Si, à une époque, être étudiant signifiait placer les individus dans une zone sociale suspendue où la condition étudiante était un facteur d’unification, aujourd’hui et depuis longtemps ce n’est plus vrai. » Il existe certainement un fossé politique entre ceux qui ont commencé à militer dans les années 80 ou après, et ceux qui ont commencé dans les années 50 et 60. La nostalgie que semble éprouver M.T. pour une culture étudiante commune ayant un potentiel radical repose soit sur un mythe soit sur un manque d’information. Jusqu’à la guerre d’Algérie le mouvement étudiant français était politiquement très modéré, et l’UNEF (qui tombera plus tard entre les mains de gens plus à « gauche ») coopérait sans problème à la reproduction du système... comme elle le fit par la suite d’ailleurs, mais sous une autre forme. La rhétorique « marxiste » des intellectuels des années 60, et des groupes maoïstes et trotskystes, dominait bruyamment les milieux de gauche, spécialement dans les universités, et plus tard dans les lycées. Mais il n’existait pas une culture étudiante de masse au contenu radical ou révolutionnaire (un tel phénomène aurait d’ailleurs posé un problème grave au Capital dans n’importe quel pays). À l’époque (un peu avant 1968 et la décennie qui suivit), la majorité du milieu étudiant était politiquement neutre, avec parfois une petite curiosité pour les idées « contestataires », et seule une minorité éprouvait de fortes sympathies pour l’extrême gauche et les libertaires.
Les rapports de force politiques au sein de la jeunesse étudiante sont aujourd’hui différents : il existe toujours des groupes d’extrême droite, comme dans les années 60 ; mais la majorité des étudiants, de droite ou de gauche, sont plus modérés voire conservateurs (on en a eu une bonne illustration d’ailleurs durant le mouvement contre le CPE où des AG de grévistes voulaient parfois faire voter... les non-grévistes présents !) : ils veulent avoir un boulot le plus vite possible, parce que leurs parents ont fait des sacrifices pour payer leurs études, phénomène qui n’existait pas dans les années 60 (à part pour quelques boursiers) quand les universités n’étaient ouvertes qu’aux couches supérieures de la petite bourgeoisie, à la moyenne bourgeoisie et à la grande bourgeoisie. Et aujourd’hui les étudiants « révolutionnaires » constituent une infime minorité que personne n’écoute, excepté durant les mouvements étudiants où leur audience s’accroît un petit peu tout en restant extrêmement marginale.
Il est plutôt curieux que des « radicaux » du XXIe siècle regrettent la culture bourgeoise de la jeunesse étudiante élitiste des années 60. Deux statistiques suffiront pour illustrer le changement qui s’est produit depuis 40 ans. En 1960, la France avait 50 millions d’habitants et 220 000 étudiants ; aujourd’hui il y 2,5 millions d’étudiants pour 67 millions d’habitants.
15) « Les trois couleurs Black-Blanc-Beur », écrit Quadrelli. « Beur » ne fait absolument pas référence à une couleur de peau, mais est le mot verlan pour « Arabe ». Quant aux « Arabes » (concept vague et qui englobe, pour ceux qui l’utilisent sans en connaître le sens précis, aussi les Turcs, les Iraniens et les Berbères qui ne sont pas Arabes !) ils sont loin de se considérer comme des « Noirs », étant donné l’importance historique du commerce d’esclaves africains et les préjugés raciaux contre les Africains qui existent dans les pays arabo-musulmans. Enfin, en français, le mot de « Blacks » est extrêmement suspect. On peut se demander s’il n’a pas connu une telle vogue justement parce que la gauche multiculturaliste « blanche » française avait peur de nommer ouvertement la couleur « noire », et était dans le même temps politiquement et intellectuellement incapable de dépasser de pseudo-identités dermiques... ou « dermocentrées » pour parler le charabia universitaire ? On se rappellera à ce propos le slogan particulièrement absurde de « République métissée », inventé par SOS-Racisme. Absurde car la notion de République (du moins selon la tradition de la Révolution française) est absolument incompatible avec la notion de « races ».
Les termes de « Blacks, Blancs, Beurs » ont été lancés par la gauche réformiste antiraciste, les chanteurs de rap, les journalistes de la télévision et de la radio, etc. Pourquoi devrions-nous leur accorder le moindre crédit et les utiliser comme une arme de la critique sociale ?
16) « (...) comme cela semble évident même pour un observateur superficiel, l’élection présidentielle française se fera dans une grande mesure autour du thème de la banlieue » ; « Nicolas Sarkozy, pour la droite, et Ségolène Royal, pour la gauche, considèrent la ”question des banlieues” comme le nœud central de leurs projets gouvernementaux, comme on peut s’en rendre compte en jetant un coup d’œil rapide à la façon dont les médias rendent compte de leurs programmes électoraux », écrit Quadrelli.
Si la droite et la gauche ont certainement déployé davantage d’efforts pour gagner des voix dans les quartiers ouvriers que durant les campagnes présidentielles précédentes (Sarkozy prétendait visiter une usine par jour !), les émeutes de novembre et la situation des banlieues (qui continue à se détériorer) n’ont pas été évoqués dans la propagande de la gauche et de la droite. Il y a eu une sorte d’accord implicite entre les grands partis pour ne pas jeter de l’huile sur le feu, donc pour éviter la question des émeutes et des quartiers les plus pauvres. Les mots les plus utilisés étaient des termes comme « douleur, souffrances, difficultés, petites retraites, les gens qui souffrent », etc. Etant de bons chrétiens, les trois principaux candidats (Bayrou, Royal et Sarkozy) n’ont eu aucune difficulté à utiliser un langage de dames de charité et à ne toucher à aucune question sociale brûlante. Si Bayrou et Royal se sont personnellement rendu dans des banlieues « difficiles », Sarkozy n’a pas pu parader dans les rues et les marchés des quartiers populaires, comme l’ont fait, parfois, ses concurrents.
17) Quadrelli, dans une note, souligne « la force de la présence de la guerre d’Algérie au niveau imaginaire, au cours de l’automne français ».
Cette phrase reflète le manque d’information de l’auteur qui ne fait ici que nous servir un copier-coller des idées confuses et contradictoires du MIB et des Indigènes de la République. Si l’on choisit de privilégier cette interprétation, alors on renforce inévitablement l’explication racialiste des émeutes de novembre qui a été avancée par l’extrême droite et par la droite. On ne peut pas à la fois prétendre qu’il y avait beaucoup de « mauvais Blancs » (comme le dit un des interlocuteurs de Quadrelli) parmi les émeutiers et que la guerre d’Algérie jouait un rôle central dans leur imagination. On ne peut en même temps prétendre que les immigrés et leurs enfants vivent sous une domination post-coloniale en France et que la jeunesse - à travers quels moyens ? les manuels scolaires ? ils sont dénoncés comme colonialistes !!! - est bien informée de la guerre d’Algérie. Dernière incohérence : les jeunes Africains, les Franco-Africains et les Antillais n’ont aucune relation avec la guerre d’Algérie. Par quel miracle cette guerre jouerait-elle donc un rôle important dans leur mémoire collective ?
Il y a cependant quelque chose à retenir de la remarque de Quadrelli, même si elle nous amène à une conclusion différente. Dans la mémoire collective de la classe dirigeante française, et spécialement parmi les cadres de l’armée française et parmi les officiers de police, l’expérience militaire de la guerre d’Algérie, en Algérie comme en France, n’a pas été perdue. Et les leçons ont été transmises aux dirigeants des forces de répression actuelles. Malheureusement, du côté des opprimés, il est à craindre que l’expérience concrète de ceux qui ont soutenu la lutte de libération du FLN algérien (guérilleros algériens en Algérie, soldats français déserteurs ou militants français anticolonialistes) n’ait pas été massivement transmise aux jeunes générations, même dans les quartiers ouvriers. Y.C.
Notes
1. Comme Quadrelli et ses interlocuteurs utilisent ces termes absurdes de « Blancs » et de « Noirs », j’ai décidé de les employer aussi dans cet article, non parce qu’ils auraient la moindre valeur politique, mais parce qu’ils illustrent la dégénérescence politique de la gauche (réformiste et révolutionnaire) qui désormais utilise les mêmes concepts que la droite. Cette évolution est liée à l’influence des politiques prônant la défense des « identités » et, plus récemment, de l’idéologie multiculturaliste, tout aussi conservatrice, quelles que soient ses bonnes intentions. Il est intéressant de souligner que, au Canada, c’est Pierre Eliot Trudeau, un politicien « blanc » réactionnaire, qui a imposé le multiculturalisme comme doctrine d’Etat, obligeant chaque étranger venant vivre au Canada à rester fidèle à sa « culture originelle » afin d’ « enrichir » la culture nationale canadienne et de transformer ce pays en une nation « multiculturelle ». Cela a donné lieu à un front unique efficace entre les nationalistes culturels « noirs » et les multiculturalistes « blancs », chaque courant dénonçant comme « traîtres », d’un côté, ou « racistes », de l’autre, ceux qui refusaient d’être enfermés dans des cases « ethniques » préfabriquées.
Pour une critique du caractère réactionnaire du multiculturalisme, on lira avec profit les textes d’Azam Kamguian, Maryam Namazie, Azar Majedi, membres du Parti communiste-ouvrier d’Iran, notamment ceux traduits dans les numéros 10, 11-12 et 18-19-20 de Ni patrie ni frontières ainsi que dans la brochure Femmes en Irak (tous sur le site mondialisme.org).
2. Les mao-spontanéistes (La Cause du peuple, Vive la révolution, etc.) défendaient certes une politique tiers-mondiste qui était, en dernière analyse, profondément hostile à la classe ouvrière de ces pays, puisqu’elle les conduisait à soutenir les régimes staliniens chinois, vietnamien ou coréen. Mais reconnaissons aussi qu’ils remarquèrent avant tout le monde, même si cela fut fait d’une façon populiste et démagogique, un élément qui a une étroite relation avec notre sujet : le rôle important des migrants africains et nord-africains en France. Cette orientation les conduisit à défendre une position anti-hiérarchique radicale (ils attendaient, par exemple, les chefs à la sortie des usines pour les « peindre » en bleu), dans la mesure où leur cible politique principale était les O.S., les travailleurs peu qualifiés de l’époque. On retrouve cette haine (positive) contre les chefs et les contremaîtres dans les interviews de Quadrelli mais cela amène, à tort selon nous, ses interlocuteurs à identifier le capitalisme avec la domination des seuls « Blancs », toutes classes confondues. Là aussi, on sent l’influence d’un vieux thème maoïste : dans les années 60 et 70, et c’est encore le cas dans de nombreuses usines aujourd’hui, les contremaîtres étaient généralement des Franco-Français et les travailleurs sans qualification, immigrés ou de parents immigrés. Mais, il y a trente ans, les maos exaltaient le rôle des OS et des plus opprimés, en partie en raison de leur place subordonnée dans la division du travail. Aujourd’hui, leurs lointains successeurs remplacent la lutte des classes par la lutte des « non-Blancs » contre les « Blancs ». On est passé d’un populisme radical-confus à un populisme hypocritement racialisé et encore plus confus. Pas vraiment un progrès...
3. Carlos Marighela, Mini manuel de guérilla urbaine, brochure disponible notamment sur le site marxists.org. Ce texte a eu une influence internationale et a été traduit dans de nombreuses langues.
4. La droite et les Renseignements généraux ont mis l’accent sur la participation de jeunes Franco-Africains ou Africains aux émeutes. Ils ont essayé d’établir un lien entre les émeutiers et les familles nombreuses africaines ou franco-africaines (faussement présentées comme toutes polygames, alors que ce problème, certes réel, ne concerne qu’une minorité d’entre elles) dans certains quartiers. Il n’existe pas de statistiques à l’échelle nationale, mais d’après les quelques enquêtes menées localement à la sortie des prétoires, on sait que les émeutiers venaient de toutes les origines et qu’il est donc difficile de leur coller une étiquette ethnique.
5. En France, les Renseignements généraux emploient 3500 personnes. Le Président Sarkozy vient d’obliger les RG à fusionner avec la DST.
6. En fait, ceci n’est pas tout à fait exact : sur le Net on peut trouver au moins une analyse assez proche de ce que racontent Quadrelli et ses interlocuteurs, mais sans que ce site fournisse de preuves sérieuses à l’appui de sa démonstration. Pour plus de détails voir cettesemaine.free.fr/cs91/cs91novembre.html Et il existe aussi quelques livres récents qui, dans un style ampoulé et radical, généralement influencé par le situationnisme, font l’éloge des émeutiers de novembre, mais là aussi sans présenter d’éléments factuels solides pour étayer leurs discours généralement creux.
7. Cette hypothèse est plutôt tirée par les cheveux, comme le montrent les statistiques de la nuit du 1er au 2 novembre 2005 : selon Associated Press (et « Cette Semaine » reproduit ces chiffres sans le moindre commentaire), 268 voitures privées ont été brûlées ce soir-là, et trois voitures de police attaquées, donc même pas brûlées.
8. C’est tout à fait délibérément que nous utilisons ce terme. En effet, dans son dernier livre Goodbye Mr Socialism Toni Negri affirme cyniquement que « l’alliance de Staline avec les nazis était un « acte de lucidité stratégique » ; qu’il « est absurde de tenter d’accuser l’URSS de comportements antisémites » ; que le « Thermidor stalinien a été une machine de modernisation formidable pour la Russie » ; et que le « régime bénéficiait de l’adhésion et du quasi soutien de la quasi-totalité de la population » ! Que ce lèche-cul du stalinisme passe encore pour un penseur radical fait partie de ces mystères inexplicables.
9. En fait le Coran ne mentionne pas le mot « hijab », inventé plus tard pour discipliner les femmes et renforcer la domination masculine, comme le font toutes les religions.
L’article suivant s’intitule "Forces de répression et guérilla urbaine"
(22 août 2007)